Formation de la collection de peintures des Appartements historiques
- Le règne de Louis XV
- De Louis XVI à la Révolution
- Le Premier Empire
- Du retour des Bourbons et des Orléans au prince-président
- Du prince-président à l’empereur Napoléon III
- De la chute du Second Empire à la Grande Guerre
- Les collections de peintures pendant la tourmente de 1914-1918
- De l’après-guerre à l’époque actuelle
- Ensembles remarquables
Le règne de Louis XV
Les premières informations connues se rapportant aux collections de peintures de Compiègne apparaissent dans trois inventaires qui se recoupent, communs aux collections de Versailles et de Marly. Deux d’entre eux sont datés de la fin de l’année 1732 : il s’agit de l’« Inventaire des tableaux qui se sont faits pour le service du Roy, au mois d’avril 1722 jusqu’à la fin de 1732 » et de l’« Inventaire des tableaux qui se sont faits pour le service du Roy, depuis celui du mois d’avril 1722 jusqu’à la fin de 1732 ». Le troisième, daté de 1737, est un « Inventaire général » qui actualise ceux établis en 1709 et en 172211. A.N. O1 1965..
Un quatrième document, « Estat des tableaux qui sont au château de Compiègne22. F. Engerand, Inventaire des tableaux commandés et achetés par la Direction des Bâtiments du Roi (1709-1792), 1901, p. 375-376 ; voir également H. Opperman dans cat. exp. J.B. Oudry 1686-1755, Paris : Réunion des musées nationaux, 1982, no 44 ; J.-M. Moulin, « Le garde-chasse La Forêt avec Fine-Lise et Lise (1732) par J. B. Oudry revient à Compiègne grâce à une dation », La Revue du Louvre, 1996, no 2, p. 13-14. », daté du 22 février 1733, reprend partiellement les listes de 1732. Son intérêt, non des moindres, est de préciser la répartition des dessus-de-porte de Jean-Baptiste Oudry : dans la chambre du Roi, au-dessus de la porte d’entrée, Lise ; en vis-à-vis, Charlotte ; du côté de la cour, Misse et Turlu. Dans le passage du côté de la terrasse, les Canards de Marly et Le Général Chat ; dans le passage conduisant au cabinet du Conseil, Le Garde-chasse La Forêt avec Fine-Lise et Lise et Perle et Ponne, tandis que Blanche, Polydore et Mignonne décorent ce même cabinet. Le dernier tableau, Cadet et Hermine, prend place dans le cabinet du Jeu ; il est rejoint en 1739 par quatre portraits de chiens de François Desportes, Pompée et Florissant, Zerbine et Jemite, Merluzine et Cocoq, Muscade et Hermine33. Cl.-F. Desportes, « François Desportes » dans L. Dussieux et L. Soulié, Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de peinture et sculpture, 1854, t. II, p. 110 ; cité par F. Engerand, op. cit., p. 158-159., et par les deux Plan de la forêt de Compiègne sous Louis XV (INV. 8792 et INV. 8793) de Pierre-Denis Martin. Les appartements de la Reine ne sont pas mentionnés, sauf le Grand Cabinet où figurent deux natures mortes de fruits et de fleurs provenant de la Surintendance des Bâtiments de Versailles, non identifiées par le rédacteur de l’« Estat ».
Les annotations marginales portées sur l’exemplaire de l’inventaire de Nicolas Bailly conservé aux Archives des musées nationaux complètent les informations fournies par l’« Estat » de 1733 sans pour autant offrir une vision globale de la décoration des appartements. À l’exception de deux tableaux d’histoire, Neptune offrant ses richesses à la France. Allégorie à Louis XIV de Pierre Mignard, exposé depuis 1739 dans la salle à manger du Grand Couvert, et L’Abondance de Noël Coypel, les natures mortes occupent une place de choix dans le décor du palais : Lièvre accroché à un tronc d’arbre de Desportes est disposé dans l’antichambre44. F. Engerand, Inventaire des tableaux du Roy rédigé en 1709 et 1710 par Nicolas Bailly, 1899, p. 517. Nous savons par ce même ouvrage, p. 634-635, que trois dessus-de-porte étaient exposés dans la seconde antichambre ; ils représentaient des natures mortes avec en leur centre des allégories de l’été, de l’automne et de l’hiver. Ces tableaux, d’auteur inconnu mais parfois attribués à Van Dyck, sont « très anciens et médiocres » selon l’auteur de l’inventaire. Réputés provenir de la surintendance des Bâtiments de Versailles, ils ont quitté Compiègne à une date indéterminée. ; en 1741, quatre autres natures mortes de cet artiste figurent dans le petit cabinet55. Ibid., p. 515, nos 6, 7, 8 et 14.. Belin de Fontenay a aussi les faveurs du souverain : ses tableaux Cuvette d’or remplie de toutes sortes de fleurs et Vase d’or rempli de fleurs et de fruits66. Ibid., p. 530, nos 5 et 6 ; cet auteur mentionne la présence de deux autres peintures du même artiste, Vase d’or et deux festons de fleurs (no 27, p. 533) et Carquois, un flambeau, un bouclier et des fleurs (no 35, p. 534) dans l’appartement du Roi sans préciser leur localisation exacte. ont leur place dans la petite salle à manger.
L’aménagement de l’appartement de la Reine relève du même esprit avec quatre natures mortes de fleurs et de fruits de Jean-Baptiste Monnoyer. L’« Inventaire général » de 1737 fait état dans le Grand Cabinet de « deux tableaux représentant des fleurs et des fruits de 4 pieds 2 pouces de haut sur 4 pieds de large77. Repris par F. Engerand, Inventaire des tableaux commandés et achetés par la Direction des Bâtiments du Roi (1709-1792), 1900, p. 193. » de Belin de Fontenay. Trois natures mortes du même artiste, dont Panier rempli de fleurs, agrémentent les appartements du duc d’Orléans88. F. Engerand, Inventaire des tableaux du Roy rédigé en 1709 et 1710 par Nicolas Bailly, 1899, p. 534-536, nos 39 et 40. Le Panier rempli de fleurs semble être le MV 7265 conservé à Versailles. et de la princesse de Conti99. Ibid., no 38 : Un vase d’or dans lequel est un grenadier., tandis que Fleurs dans un vase de porphyre et Vase d’or rempli de fleurs1010. Ibid., p. 372, nos 3 et 4, et p. 373. Certaines peintures commandées à l’époque par la direction des Bâtiments du roi pour agrémenter les appartements lors des séjours de la cour semblent avoir disparu à tout jamais comme les huit Paysage payés 1 400 livres à Louis Aubert en 1746-1748 (F. Engerand, op. cit., 1900, p. 3-4) ou les Quatre tableaux dessus de portes de Le Guay exécutés vers 1749-1750 pour la Pompadour (Ibid., p. 278). de Jean-Michel Picart décorent celui du dauphin en 1741.
De Louis XVI à la Révolution
À son avènement en 1774, Louis XVI se trouve face à une résidence en pleine reconstruction. Son prédécesseur n’a pu mener à son terme le « Grand Projet » conçu en 1751 par l’architecte Jacques Ange Gabriel. Le nouveau souverain en poursuit la réalisation en faisant aménager ses appartements ainsi que ceux de la reine Marie-Antoinette par le successeur de Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), Louis Le Dreux de La Châtre (1721-1792).
Les travaux voulus par le roi entraînent de profondes modifications dans la décoration picturale de cette demeure, dirigée par le directeur des Bâtiments, le comte d’Angiviller. C’est un nouveau palais qui prend forme sous sa férule. Le fait marquant est la volonté affirmée d’un véritable programme iconographique pour les dessus-de-porte des appartements royaux. Leur réalisation est confiée à Piat-Joseph Sauvage (1744-1818), peintre spécialiste du trompe-l’œil dont le choix est entériné le 18 mai 1784. Le « Projet des dessus de Portes pour le Château Royal de Compiègne1111. A.N. O1 1390-115. Pour l’histoire de cette période, se reporter au catalogue de l’exposition Louis XVI et Marie-Antoinette à Compiègne, Paris : Réunion des musées nationaux, 2006, et à notre étude parue dans le même catalogue : « Les décors de Piat-Joseph Sauvage ou le plaisir esthétique de l’illusion », p. 33-37. » décrit les quarante-neuf sujets proposés pour les appartements des souverains. Cette commande sera honorée dans sa globalité entre 1785 et 1789 avec toutefois une nuance pour les peintures prévues dans les appartements de Madame Royale et dans ceux du Dauphin1212. Ce programme décoratif ne doit pas occulter la présence des dessus-de-porte de J.B. Oudry, de Desportes et des autres peintures de Monnoyer et de Belin de Fontenay. Les rapports adressés par Le Dreux à d’Angiviller restent lacunaires sur le réemploi de ces « anciens tableaux » dans les appartements royaux..
Les événements liés à la Révolution ne permettent pas au roi et à la reine de voir l’achèvement des travaux et d’occuper leur résidence compiégnoise. Le sort de la collection pendant cette période reste aléatoire ; le Rapport des commissaires Moreau et Lemonnier sur les monuments du château de Compiègne du 28 novembre 17921313. A.N. F17 1032, dossier 8. Voir aussi N.A.A.F., 1901-1902, p. 314-315. liste, salle par salle, « les objets d’art et les peintures les plus remarquables pouvant contribuer à l’ornement du Muséum national ». Ces deux recenseurs mentionnent pour la première fois une Visitation alors attribuée à del Sarto, exposée dans le salon de Madame, et une copie des Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse dans la chapelle.
Il faut se reporter à l’« État des tableaux restés en dépôt dans le Palais de Compiègne » établi le 10 février 1809 pour avoir une perception sinon complète du moins plus fiable des toiles conservées au palais, absentes pour certaines des inventaires du xviiie siècle1414. Compiègne, Archives de la conservation no 38-1. Parmi les tableaux listés, citons le Bois de cerf de J.-J. Bachelier ; cf. la notice que nous lui consacrons dans cat. exp. Louis XVI et Marie-Antoinette à Compiègne, Paris : Réunion des musées nationaux, 2006, no 23, repr.. Cet « État » répertorie cinquante-sept peintures dont des tableaux religieux comme la Visitation, considérée cette fois comme copie de del Sarto, et surtout Saint Louis rendant la Justice de Brenet, Le Martyre d’un Saint de Lépicié1515. Ces deux tableaux donnés à la Ville de Compiègne par Louis-Philippe sont conservés dans les églises Saint-Jacques pour la toile de Brenet et Saint-Antoine pour celle de Lépicié. ; une copie d’après Vouet, Louis XIII entre deux figures de femmes symbolisant la France et la Navarre1616. Cette peinture est aujourd’hui à Versailles (MV 3367 ; Constans, no 5314, p. 946)., ou encore des portraits comme cette toile anonyme figurant le Grand Dauphin. Tout naturellement, nous y retrouvons les dessus-de-porte de Desportes et d’Oudry. Les annotations marginales relatives à ces panneaux ainsi qu’aux Vases et autres Fleurs et fruits de Monnoyer et de Belin de Fontenay mentionnent qu’ils sont « en très mauvais état, ayant beaucoup souffert de l’humidité [mais] sont susceptibles de réparation ».
Le Premier Empire
À partir de 1808, Napoléon Ier entreprend une vaste remise en état du palais dénaturé par l’occupation abusive de l’École des arts et métiers. Louis-Martin Berthault (1770-1823), ancien architecte de l’impératrice Joséphine à la Malmaison, conduit les travaux en étroite collaboration avec les décorateurs Dubois et Redouté, auteurs des peintures du deuxième salon ou salon des Fleurs, réalisées en 1810, et de celles de la chambre à coucher du roi de Rome, inspirées de l’histoire de Psyché. La redistribution des appartements impose un nouveau choix de peintures.
Pour cela, Berthault a pour interlocuteur Dominique Vivant Denon, directeur des Musées impériaux, qu’il sollicite sans cesse pour la décoration du palais. Sa correspondance1717. M. A. Dupuy, I. le Masne de Chermont et E. Williamson, Vivant Denon Directeur des musées sous le Consulat et l’Empire. Correspondance (1802-1815), Paris : Réunion des musées nationaux, 1999, p. 514 et 541. fournit de précieux renseignements sur ces envois qui se font au coup par coup, sans plan établi. Les premiers transferts ont lieu le 16 mai 1808 avec l’envoi des quatorze portraits de ministres et de grands officiers de l’Empire commandés deux ans auparavant par Napoléon Ier et exposés alors dans la salle des Maréchaux aux Tuileries1818. A.M.N. P* 12 Mutations. Compiègne, fo 5. Pour l’historique de cette commande, se reporter à l’étude de C. O. Ziesenis, « Le décor pictural de la galerie de Diane aux Tuileries sous le premier Empire », B.S.H.A.F., 1966, p. 199-235 ; id., « Les portraits des ministres et des grands officiers de la Couronne », A.A.F. t. XXIV, 1969, p. 133-158 ; Y. Cantarel-Besson, « La peinture napoléonienne. Commandes et acquisitions » dans Napoléon. Images et Histoire. Peintures du château de Versailles (1789-1815), Paris : Réunion des musées nationaux, 2001, p. 59 ; en dernier lieu, H. Meyer, « Postérités de décors historiques : trois galeries à Compiègne sous l’Empire » dans cat. exp. 1810. La politique de l’amour. Napoléon Ier et Marie-Louise à Compiègne, Paris : Réunion des musées nationaux, 2010, p. 58-64.. Berthault les répartit entre la galerie des Ministres (actuelle salle des Gardes), le salon des Huissiers (actuelle antichambre commune au roi et à la reine) et le salon des Grands Officiers (actuel salon des Cartes). Cet envoi comprend aussi le Portrait de Selim III, sultan ottoman de l’école turque du xixe siècle et Fath Ali Shah, shah de Perse1919. Ces deux peintures quittent Compiègne le 18 mai 1834 ; elles font partie des collections de Versailles (MV 4791 et MV 7539 ; Constans no 6309, p. 1110 et no 3659, p. 650). Le portrait Fath Ali Shah est un cadeau diplomatique que le Shah a offert à Napoléon Ier en 1806 par l’intermédiaire des ambassadeurs Riza-Bey et Joubert. de l’atelier d’Ali Mihr. La décoration des espaces se poursuit par la restauration, en septembre de la même année, « des anciennes peintures », ce qui permet à Berthault « de meubler les dessus-de-porte des appartements2020. M. A. Dupuy, I. le Masne de Chermont et E. Williamson 1999, op. cit., p. 541. Berthault fait sans doute allusion aux tableaux de Sauvage restés en place à la Révolution. Inclut-il les Quatre dessus de portes représentant des jeux d’enfants, de différentes formes et mesures mentionnés dans l’État de 1809, que nous sommes tenté d’identifier avec les compositions de Sauvage actuellement présentées dans le salon de Musique ? ».
Un nouvel envoi de quinze toiles2121. Pour l’histoire de ces tableaux, cf. Y. Cantarel-Besson, C. Constans et B. Foucart, Napoléon. Images et histoire. Peintures du château de Versailles, Paris : Réunion des musées nationaux, 2001, p. 153-165. Ces toiles ont-elles pris place dans le salon des Cartes ? Le 15 décembre 1808, on communique au secrétaire du musée Napoléon les dimensions des tentures sur lesquelles on envisage de placer des tableaux. a lieu le 10 avril 1809 ; cinq d’entre elles font référence aux épisodes les plus glorieux des campagnes de 1805-1809 : La Surprise du pont de Tabour sur le Danube de Guillaume Lethière, Le Maréchal Ney remet leurs drapeaux aux soldats du 76e régiment de Charles Meynier, Napoléon Ier reçoit les députés du Sénat au palais royal de Berlin de René Théodore Berthon, Napoléon décore le grenadier Lazareff à Tilsitt de Jean-Baptiste Debret, Entrevue de Napoléon Ier et d’Alexandre Ier de Russie sur le Niémen2222. A.C.C. no 1-1bis. d’Adolphe Roehn.
Deux événements fondamentaux marquent cette période. Le premier est sans doute en 1808 la constitution d’une galerie de tableaux dans l’espace créé par la réunion des deux antichambres de l’appartement de Madame. Contrairement à Fontainebleau, Compiègne n’a jamais eu vocation à abriter une galerie semblable à celle où François Ier exposait de prestigieuses collections de peintures. Napoléon Ier ambitionnait-il de réunir quelques-unes des plus belles toiles du Louvre ou d’autres collections issues de ses conquêtes ? Les tableaux retenus pour cette galerie proviennent des envois du Louvre des 12, 17 et 24 mars 1810. Le manuscrit intitulé « Tableaux, Gravures… qui décorent le Palais Impérial de Compiègne2323. C.A.A. 61.1810-8. » est le premier document qui recense l’ensemble des œuvres (peintures, gravures, sculptures et tapisseries) conservées au palais vers 1810-1811. À cette époque, la « galerie des Tableaux » regroupe trente-huit peintures, des compositions majeures, dont la plupart appartiennent aux écoles du Nord. Parmi les œuvres de premier ordre, la Petite fille en bergère de Govaert Flinck, saisie révolutionnaire provenant de la collection de la duchesse de Noailles ; les Enfants nobles dans un char traîné par des chèvres de Ferdinand Bol, séquestre de la collection Milliotty ; Intérieur rustique ou Le Bon Ménage de Cornelis Pietersz Bega, acquis avant 1810, ou encore La Mort d’Adonis de Rottenhammer, saisie chez le duc de Penthièvre à Châteauneuf-sur-Loire, mais aujourd’hui considérée comme une œuvre de l’école vénitienne du xvie siècle. De l’école italienne, on retiendra surtout Renaud présentant un miroir à Armide, célèbre tableau peint par le Dominiquin pour le duc de Mantoue. Parmi les peintures de l’école française, en nombre très restreint, figurent des œuvres aussi diverses que Minerve chez les Muses de Jacques Stella, Abigaïl cherchant à fléchir David de Louis Licherie, Le Christ chez Marthe et Marie de Jean Jouvenet.
Le second événement a trait aux préparatifs du mariage de Napoléon Ier et de Marie-Louise. En juin et en octobre 1809, Berthault demande à Lavallée, secrétaire général du musée Napoléon, de nouvelles peintures en prévision « du retour prochain de S.M. et [de] la probabilité d’un petit voyage à Compiègne ». Ces demandes sont satisfaites en mars de l’année suivante, juste à temps pour recevoir l’archiduchesse Marie-Louise que Napoléon s’apprête à épouser. Berthault accuse réception à Denon le 14 mars 1810 de l’arrivée de soixante-sept peintures, en lui précisant qu’il souhaite désormais des tableaux de petites dimensions2424. Fait-il allusion à L’Adoration des Mages de Rubens (INV. 162), toile de 2,83 m par 2,19 m prévue pour la galerie de Peintures ?. Denon privilégie à nouveau les écoles du Nord du xviie siècle. Les peintures de l’école française de la même période ont des sujets essentiellement religieux, avec le Christ en croix de Simon Vouet, le Saint André de Hyacinthe Rigaud, destinés à la chapelle ; c’est également à cette date qu’entre au palais le Paysage avec chute d’eau2525. Cet envoi comporte aussi seize compositions anonymes des campagnes d’Italie, dont Vue de Turbigo ; Vue de Milan, qui semblent être des gouaches sur toile (cf. A.C.C. nos 1-1 bis). Berthault, par égard pour la nouvelle impératrice et pour l’Autriche, renvoie, au grand désappointement de Denon, le 14 mars 1810 deux toiles : La Surprise du pont de Tabour de Lethière et Le Maréchal Ney remet leurs drapeaux aux soldats du 76e régiment de Meynier. de Joseph Bidault, prévu pour la chambre à coucher de l’Empereur, où il figure toujours.
Cet envoi ne semble pas donner entière satisfaction. Berthault sollicite à nouveau Denon qui, dans sa réponse du 16 mars, précise à Daru que « les bordures [des tableaux] ne sont pas de la dernière fraîcheur » et qu’il craint qu’elles ne « fassent tache sur les riches étoffes des appartements »2626. Denon à Daru, 16 mars 1810 ; cf. M. A. Dupuy, I. le Masne de Chermont et E. Williamson 1999, op. cit., p. 619-620.. Le lendemain arrivent à Compiègne quarante-cinq peintures faisant une fois de plus la part belle aux écoles nordiques ; quelques œuvres de l’école italienne se glissent dans cet envoi, comme Agar secourue par l’Ange dans le désert de Giovanni Lanfranco et Jésus chassant les vendeurs du Temple de Bartolomeo Manfredi. L’école française n’est là encore représentée que par un très petit nombre de toiles parmi lesquelles il faut néanmoins citer une Adoration des bergers de Charles Le Brun, et, pour le xviiie siècle, Hercule tuant Cacus de François Le Moyne.
Rien n’est trop beau pour accueillir Marie-Louise. Berthault répond au jour le jour aux demandes de l’empereur : « Sa Majesté m’ordonne de vous demander quatre tableaux d’un genre extrêmement gracieux : ces tableaux sont destinés à être placés dans le salon intérieur de S.M. l’Impératrice. Sa Majesté désire qu’ils se rapprochent pour la composition et le faire de la manière de l’Albane […] Il faudrait qu’ils soient égaux de dimensions […] Les bordures doivent être très fraîches », écrit-il à Denon le 21 mars 1810 ; il insiste pour qu’il « mette la plus grande célérité dans cet envoi »2727. A.M.N. P* 12 Mutations. Compiègne, fo 28.. Denon s’exécute aussitôt et choisit des « toiles de la plus grande beauté ». Le lendemain, deux pendants de l’Albane, le Triomphe de Cybèle et Apollon gardant les troupeaux d’Admète, et deux de Pier Francesco Mola, Herminie gardant ses troupeaux et Herminie et Tancrède, sont envoyés à Compiègne où ils trouvent place dans le salon de musique de l’Impératrice2828. Les pendants de l’Albane sont au château de Fontainebleau, cf. D. Véron-Denise et V. Droguet dans cat. exp. Musée national du château de Fontainebleau. Peintures pour un château. Cinquante tableaux (xvie-xixe siècle) des collections du château de Fontainebleau, Paris : Réunion des musées nationaux, 1998, nos 29 et 30, repr. (sous le nom de Cybèle et les Saisons ou Allégorie de la Terre et Apollon et Mercure ou Allégorie de l’Air) ; des deux pendants de Mola, seul subsiste Herminie gardant ses troupeaux, conservé au Louvre. parmi deux paysages de Pierre Patel et Halte de cavaliers de Philips Wouverman.
L’empereur exige plus. Le 22 mars, Daru signifie à Denon de placer « de suite [souligné] dans le grand salon à Compiègne quatre dessus-de-porte de chacun 4 pieds 8 pouces de hauteur pour 4 pieds 4 pouces de large ». La demande est précise : « On souhaite une composition ferme, des sujets paysagers2929. En réalité, Berthault souhaitait obtenir vingt et un tableaux dont « 12 de 2 pieds de large environ sur 3 pieds de haut et 9 de 3 pieds carrés ».. » Denon envoie vingt-cinq tableaux3030. A.M.N. P* 12 Mutations. Compiègne, fo 30. « des plus précieux et des mieux encadrés » dont quinze peintures des écoles du Nord, quatre de l’école française du xviie siècle, parmi lesquelles un Paysage de Patel, une Sainte Famille de Jacques Blanchard, et quatre de l’école italienne, dont Le Christ en pèlerin attribué au Dominiquin.
Du retour des Bourbons et des Orléans au prince-président
Louis XVIII
La campagne de France ruine à jamais les espoirs de Napoléon Ier. Compiègne, défendue par le major Ottenin, capitule le 4 avril 1814. Par précaution, dès le 11 mars, les cent quarante-sept tableaux répartis dans les appartements sont renvoyés à Paris3131. M. A. Dupuy, I. le Masne de Chermont, E. Williamson 1999, op. cit., p. 621-622. Les revers politiques n’étant pas à exclure, l’intendant général de la couronne, Montalivet, rappelle à Denon le 4 avril 1815 « qu’il serait convenable de rétablir dans le salon des Princes » le Portrait de l’Empereur peint par Bouchet (INV. 2743 aujourd’hui à Fontainebleau).. Le 29 avril vers six heures du soir, Louis XVIII de retour d’Angleterre passe la nuit au palais avant de gagner Paris le 2 mai. La décoration picturale des appartements connaît son apogée alors que cette période est marquée politiquement par les Cent Jours et les opérations militaires de mars 1814, qui infligent d’importants dégâts au palais. En maintenant Berthault dans ses fonctions et en confirmant le choix d’Anne-Louis Girodet de Roussy-Trioson, Louis XVIII permet la poursuite et l’achèvement des décors peints de Compiègne3232. Cat. exp. Girodet à Compiègne. Les décors, Paris : Réunion des musées nationaux, 2005. N’omettons point de citer les six dessus-de-porte allégoriques de Dubois dans le troisième salon de l’Impératrice ; cf. B. Chevallier, « Le décor du salon doré de Malmaison : le peintre Delécluze et l’atelier Dubois-Redouté », B.S.H.A.F., Année 1986, 1988, p. 87-99..
Les envois du Louvre reprennent en juin 1821. Le comte de Forbin, dans une lettre du 12 juin à Berthault, fait part de sa sélection de « cent tableaux de divers genres et diverses mesures [comprenant] des morceaux anciens et des tableaux commandés ou nouvellement acquis3333. A.M.N. P* 12 Mutations. Compiègne, fo 45. A.C.C, no 20-2. De fait, les peintures renvoyées en 1815 reviennent, à quelques exceptions près, à Compiègne sept ans plus tard. En ce qui concerne les nouvelles acquisitions, de Forbin songe aux trois peintures de la collection Lespinasse récemment acquises à la demande de la Maison du Roi pour la chapelle du palais : Le Mariage de la Vierge de Jan II Van Coninxloo, Le Christ au Jardin des Oliviers, école italienne du xvie siècle, et Les Couches de la Vierge. Ces toiles réceptionnées le 13 novembre 1822 regagnent le Louvre dès juillet 1834. ». Le manuscrit inédit conservé aux Archives départementales de l’Oise, « Notice sur le château de Compiègne3434. A.D.O 1 BH 880. », que l’on peut dater de l’année 1822, les collationne pièce par pièce. Dans l’antichambre double, le Neptune offrant ses richesses à la France. Allégorie à Louis XIV de Mignard et le Louis XIV couronné par la Gloire d’Antoine Coypel voisinent avec le Portrait de Selim III et Fath Ali Shah. L’accrochage renouvelé de la galerie de Tableaux accorde un large place à des œuvres plus « modernes », comme Paysage avec pêcheur au bord d’une rivière et Paysage avec pêcheurs sur une barque de Paolo Anesi, Le Buffet de Jean Siméon Chardin, le Courage des femmes de Sparte de Jean-Jacques François Le Barbier (Salon de 1787), voire contemporaines comme Phocion de Robert Lefèvre (Salon de 1812), Le Sacrifice de Jephté de Jean-Marie Gué et Prométhée sur le Caucase de Jean Louis César Lair, tous deux exposés lors du Salon de 1819.
Charles X
Au printemps 1825, profitant des cérémonies du sacre à Reims, Charles X loge au palais à l’aller et au retour. Afin de préparer cet événement, le concierge Bouchard reçoit le 19 avril 1825 trente-huit peintures dont certaines sont toujours dans nos collections comme La Vierge, l’Enfant Jésus et le petit saint Jean de l’école française ou italienne du xviie siècle, les deux Marine de Pierre-Jacques Volaire : Marine. Intérieur d’un port méditerranéen avec une tour et Marine. Effet de lune ; vue de la baie de Naples, Les Saturnales ou Les Saturnales ou L’Hiver d’Antoine François Callet, Le Repas d’Énée et de Didon ou Didon caresse l’Amour sous la figure d’Ascagne de Louis Galloche. Au même moment, les deux Plan de la forêt de Compiègne sous Louis XV (INV. 8792 et INV. 8793) de Martin, partis depuis 1810, regagnent les appartements royaux.
La chasse est le grand divertissement du roi et des princes. À la demande du premier veneur le comte de Girardin, le Louvre dépose à la Faisanderie le 24 novembre 1827, en prévision du séjour royal du 3 au 5 décembre, vingt-sept peintures représentant en majorité des sujets de chasses par Desportes et Oudry dont les dessus-de-porte Zerbine et Jemite, Pompée et Florissant, Polydore et Misse et Turlu3535. Pour l’historique de ce dernier tableau, cf. D. Véron-Denise dans cat. exp. Collection des ducs de Mecklembourg-Schwerin. Animaux d’Oudry, Paris : Réunion des musées nationaux, 2003, no 11, repr. Entré à Compiègne sous le nom de Desportes, il retourne au Louvre le 11 novembre 1837 en même temps que Zerbine, Pompée et Polydore. D’autres toiles complètent cet envoi ; deux sont toujours à Compiègne : Jeune homme refusant de sacrifier aux faux dieux de Louis Chéron et Enfants jouant une scène de l’Opéra d’Armide de Sébastien II Le Clerc..
Le Louvre est à nouveau sollicité en avril 1828 pour préparer la venue du roi dont la présence est annoncée du 19 au 24 mai ; dès le 28 avril, tout se met en place : Bouchard demande le retour de deux peintures sorties pour restauration, un Choc de cavalerie de l’école flamande et une Marine avec figures et animaux d’Hippolyte Van der Burch, et l’envoi de personnel pour la présentation des tableaux de la galerie de Peintures « que l’on a été obligé de retirer à cause des grands travaux de maçonnerie qui viennent d’être faits dans cette pièce ». Le Louvre dépose le 14 mai six peintures dont un Paysage d’Étienne Allegrain et le Portrait d’une jeune princesse tenant une fleur de Mignard.
Louis-Philippe
Louis-Philippe se montre attentionné pour Compiègne où il séjournera avec sa famille à neuf reprises entre 1832 et 1847 : il rétablit la tradition des camps militaires et entreprend deux aménagements majeurs : la transformation de l’ancien jeu de paume en théâtre à l’occasion du mariage de sa fille aînée Louise avec Léopold Ier, roi des Belges, le 9 août 18323636. cat. exp. Louise et Léopold. Le mariage du premier roi des Belges à Compiègne le 9 août 1832, Paris : Réunion des musées nationaux, 2007 ; pour l’histoire du théâtre Louis-Philippe, cf. T. Boucher, Le Petit Théâtre du château de Compiègne. Histoire et architecture, Paris : Bonneton, 2000. et l’engagement d’importants travaux dans la chapelle qui prend peu à peu son visage actuel. Grand admirateur de l’Espagne, Louis-Philippe fait entrer pour la circonstance les vingt-trois cartons de l’Histoire de don Quichotte de Charles-Antoine Coypel, rejoints à partir de 1849 par ceux de Natoire sur le même thème3737. cat. exp. Don Quichotte vu par un peintre du xviiie siècle : Natoire, Paris : Réunion des musées nationaux, 1977 ; cat. exp. Don Quichotte, correspondances : Coypel, Natoire, Garouste, Compiègne, musée national du château, 2000..
Un des faits marquants de ce règne est la publication régulière de petits livrets, les Notice des Tableaux, inaugurant la tradition des catalogues du palais de Compiègne qui se poursuivra jusqu’en 1893 ; à partir de 1837, ils s’avèrent précieux pour connaître l’emplacement des peintures et suivre l’évolution du goût à une époque où Louis-Philippe semble privilégier la décoration des appartements des Princes et des Princesses situés au premier étage ainsi que ceux du second étage. En septembre 1833, trente-quatre tableaux tant profanes que religieux entrent au palais. La Notice des Tableaux de 1837 précise que le Moïse sauvé des eaux de Giovanni Francesco Romanelli est exposé dans la chambre à coucher de l’appartement 33 et 34 ; le Reniement de saint Pierre de Jean Tassel (aujourd’hui perdu), dans le salon circulaire de la duchesse d’Orléans. Dans le premier salon du duc de Nemours se côtoient L’Orpheline de Pierre-Roch Vigneron et une Moisson de Jacopo Bassano, tandis que Héro et Léandre de Pierre-Claude Delorme partage les honneurs du troisième salon avec Mars et Rhéa Sylvia d’Alexandre Charles Guillemot et La Tireuse de cartes de Benoist.
D’importants mouvements d’œuvres ont lieu pendant le règne de Louis-Philippe. Le plus important est lié au mariage d’août 1832. Le 28 juillet, on réceptionne plus de cent peintures dont la répartition est supervisée par Jean de Cailleux, directeur général des Musées royaux. Les œuvres les plus significatives sont réparties selon un protocole bien précis : les portraits royaux et impériaux de grand format, Henri IV chez le meunier Michau de François André Vincent, L’Impératrice Joséphine entourée des enfants dont elle a secouru les mères de Charles Nicolas Lafond, les Adieux à Vienne de l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche à sa famille et l’Arrivée à Compiègne de l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche de Pauline Auzou, sont disposés dans « les panneaux des fenêtres » du deuxième salon (aujourd’hui salon des Cartes) ; Ruines d’architecture d’ordre dorique de Giovanni Paolo Panini « sera placé au-dessus du Déjeuné [souligné] dans la salle qui précède celle de billard ». La peinture de Louis Ducis François Ier armé chevalier par Bayard sera accrochée dans « la salle d’étude des Princesses au-dessous du portrait d’Oudry »3838. A.M.N. P* 12 Mutations. Compiègne, fo 69. Les toiles d’Auzou et de Lafond regagnent Paris l’année suivante ; celle de Ducis repart le 20 février 1863, suivie par celle de Marlet le 21 juillet 1875.. La disposition des autres tableaux est laissée à la discrétion d’Otten, sous-chef des gardiens du musée du Louvre. Ordre lui est donné de disposer les « plus petits portraits dans les appartements de la Reine des Belges3939. Parmi les œuvres envoyées en août 1832, certaines sont encore à Compiègne : les deux pendants attribués à Francesco Fracanzano, Soldat à mi-corps tenant une pique et Paysan buvant dans une gourde ; la Lutte de Jacob avec l’ange d’Ippolito Scarsellino, la Vue du Vésuve de Léon-François Fleury et la Vue d’un bourg de Normandie de Charles de La Berge. ».
L’année 1834 est une année faste pour le palais avec la tenue du camp militaire du 13 août au 6 octobre. Le 14 juillet, la direction du Louvre envoie seize peintures dont des toiles acquises au Salon de 1831, Une sorcière tirant les cartes à une jeune femme de l’île d’Ischia de Jean-Claude Bonnefond, Intérieur d’une chambre au xvie siècle de Charles-Caïus Renoux, et à celui de 1834, La Mort du pêcheur de Félix Cottrau (aujourd’hui perdue) ou Vue de l’église Saint-Marc à Venise de Jacques Guiaud. Quelques semaines plus tard, le palais réceptionne le 6 août trois Tête bizarre ou Bois de cerf d’Oudry, animaux pris par Louis XV en forêt de Compiègne en 1741 et 1742, ainsi que trois portraits royaux, dont deux figurant Louis-Philippe. Le premier, Louis-Philippe I er et la Charte de 1830 d’Horace Vernet, est destiné au salon de famille où il est exposé entre le Paysage composé d’après des études faites sur le lac Majeur de Joseph Bidault et la Vue prise à Népi sur la route de Rome à Florence de Jean Victor Bertin4040. J. de Cailleux à Julien, 19 août 1834. A.C.C, no 38.6 ; le portrait du roi repart le 20 août 1837 avant de revenir le 4 novembre 1838 ; les paysages de Bidault et de Bertin et le buste de Pradier sont aujourd’hui perdus. ; le deuxième est un buste de James Pradier. Le troisième, le Portrait équestre de Léopold Ier, offert au roi des Français en 1833 par son auteur, Édouard de Biefve, prend place dans le petit salon des appartements de la duchesse d’Orléans.
La même problématique se renouvelle lors de la tenue du camp de 1837. Parmi les trente-six tableaux reçus le 17 août, on retrouve les deux Tête bizarre d’Oudry (INV. 7061 et INV. 7063) ; cette dernière est placée au premier étage dans le corridor faisant suite à la salle des Huissiers entre deux sujets similaires de Jean-Jacques Bachelier, Bois de cerf attaqué par Louis XV dans les tailles d’Épernon et Cerf dix cors pris au bois Guérin4141. cat. exp. Jean-Jacques Bachelier (1724-1806). Peintre du Roi et de Madame de Pompadour, Paris : Somogy, 1999, nos 120 et 137, repr. . Deux portraits de la famille royale complètent cet envoi. Celui de Louis Hersent, Marie-Amélie, reine des Français4242. Après une longue absence, cette toile déposée par Versailles est de retour à Compiègne en 1933. Elle a fait l’objet d’une restauration en 2006 grâce au mécénat de BNP Paribas ; malheureusement, le portrait de Georges Rouget est perdu., commandé pour la reine des Belges en 1826, est exposé dans le premier salon de l’appartement de la duchesse d’Orléans, tandis que le portrait du roi, copie de Georges Rouget d’après Hersent, remplace celui d’Horace Vernet dans le salon de famille. Actualité politique oblige, Louis-Philippe fait venir les deux grandes toiles de Jean-Charles Langlois, la Bataille de Navarin et le Combat de Staouli qu’il expose dans la salle de billard de l’appartement de la reine, parmi Zette de Desportes, Blanche, Gredinet et Charlotte d’Oudry ainsi que deux tableaux de Geerard, Chasse au cerf et Oiseau pêcheur, cygnes et poissons.
Le palais est à nouveau en effervescence à la fin de l’été 1841. La tenue du camp amène son lot de transformations dans les appartements. Douze peintures repartent à Paris, parmi lesquelles Paysans italiens buvant à la porte d’une hôtellerie de Johannes Lingelbach, provenant du Salon circulaire4343. Tous les tableaux du Salon circulaire repartent au Louvre en 1846 : le Paysage; effet de lune de Pannini ; le Portrait d’homme attribué à Van Dyck ; la Femme cauchoise ou Une mère (en costume de Cauchoise) dans sa cuisine avec deux de ses enfants de Jean-Baptiste Descamps ; le Jeune homme méditant sur la mort ou Jeune homme en méditation d’Angelo Caroselli ; le Portrait d’homme de Lodovico Cardi dit Cigoli., Mercure endormant Argus de Charles Steuben, retiré de l’antichambre du duc de Nemours, ou encore La Valeur et La Vigilance militaire de François Joseph Heim du salon de l’appartement 151 ; ces départs sont compensés par l’arrivée, entre le 26 et le 31 août, de trente-quatre gravures, dix-sept dessins d’Eugène Viollet-le-Duc, Jacques-Ignace Hittorff et William Callow, dont l’Entrée du port du Havre accroché dans le petit cabinet de l’appartement de Madame Adélaïde, et six paysages acquis au Salon de 1836. C’est ainsi que la Le Pas Bayard de Guiaud rejoint le Paysage avec animaux de Jacques-Raymond Brascassat et Troupeau de moutons et de chèvres de Joseph-Auguste Knip déjà présents dans les appartements de Madame Adélaïde. Le souverain avait acquis au Salon de 1838 l’Intérieur du théâtre de la Reine au Petit Trianon d’Antoinette Asselineau : il trouve place dans la salle du billard parmi les deux paysages d’Anesi : Paysage avec pêcheur au bord d’une rivière et Paysage avec pêcheurs sur une barque et la Vue d’un bourg de Normandie de Charles de La Berge, tandis que la Vue du Tréport de Catherine Edmée Empis est destinée au salon de l’appartement 51.
Les envois de novembre 1846 ont lieu quelques jours avant l’arrivée du roi pour la chasse. Ils se limitent à six compositions dont trois natures mortes de Jean-Baptiste Monnoyer, Vase de porcelaine avec des fleurs, Vase d’argent avec des fleurs et une scène allégorique de Florentin Damoiselet, Amour cueillant une marguerite, qui sont présentées dans la petite galerie. Une œuvre acquise au Salon de 1842, Vue des bords du Morin en Brie d’Alexis Ledieu, est placée dans l’antigalerie de bal parmi d’autres paysages de Philippe Tanneur, dont une Marine. Vue prise en Hollande, un Paysage d’Auguste Jacques Régnier et un Paysage avec chute d’eau d’Ignace Duvivier. En contre-partie, le 10 novembre 1846, le Louvre demande le retour de quelques chefs-d’œuvre de la peinture nordique comme Le Dessert de Willem Claesz Heda, la Petite fille en bergère de Govaert Flinck, le Paysage avec saint Jean Baptiste de Paul Bril ou le Portrait de jeune homme de Simon de Vos autrefois attribué à Pierre Paul Rubens, suivis le 14 décembre par les tableaux de l’Histoire de don Quichotte et les deux Plan de la forêt de Compiègne sous Louis XV (INV. 8792 et INV. 8793) de Martin.
Le dernier camp a lieu en août de l’année suivante ; arrivé le 20 du mois, le duc de Nemours prend le commandement des 15 000 hommes rassemblés pour la circonstance. Selon le protocole, les préparatifs commencent plusieurs semaines auparavant. Les scènes cynégétiques sont une fois de plus à l’honneur. Le 25 juillet, le salon des Huissiers retrouve après neuf ans d’absence la Chasse au sanglier, réplique de l’atelier d’Oudry d’après l’original conservé à Ansbach, le Chevreuil gardé par des chiens de Desportes peint pour Meudon et une Chasse de Louis XV dans la forêt de Fontainebleau, carton d’Oudry pour les Chasses de Louis XV actuellement au château de Fontainebleau.
Du prince-président à l’empereur Napoléon III
De la brève visite du prince-président Louis-Napoléon venu inaugurer la ligne de chemin de fer Compiègne-Noyon le 25 février 1849 au dernier séjour de l’empereur Napoléon III et de sa cour en 1869, Compiègne connaît grâce aux « séries » instituées à partir de 1856 une des périodes les plus brillantes de son histoire. La première démarche du prince-président est l’achèvement en 1850-1851 des galeries Coypel et Natoire, actuelles galeries des Chasses de Louis XV et des Cerfs, permettant la présentation des tableaux de Coypel et des cinq tableaux de Natoire sur l’Histoire de don Quichotte, revenus de restauration depuis le 19 mai 18494444. Administrativement, ces tableaux ont quitté le Louvre le 9 mai 1849, mais leur présence effective à Compiègne n’est attestée que le 19 du même mois.. Huit années plus tard, l’architecte du château, Gabriel-Auguste Ancelet (1829-1895), achève l’aménagement de la galerie Neuve, l’actuelle galerie Natoire, pour abriter définitivement les cartons de cet artiste. Quelques années plus tard, l’empereur fait restaurer l’antigalerie de bal avec un décor de faux chêne pour les boiseries dans lesquelles sont encastrées des œuvres contemporaines : les peintures de Féodor Dietz, La Revue nocturne acquise en 1853 et La Revue des ombres de Victor Giraud, peinte en 1864 d’après Auguste Raffet. De son côté, l’impératrice suit la même démarche en faisant disposer en 1868 les quatre panneaux de François-Auguste Ortmans d’après Oudry dans le salon des Huissiers (antichambre )4545. L’antichambre ayant été restituée dans son état du xviiie siècle, les toiles d’Ortmans sont conservées dans les réserves du palais de Compiègne. Pour l’histoire de cette commande, cf. C. Granger, L’Empereur et les Arts. La liste civile de Napoléon III, 2005, p. 594-595 ; cat. exp. François-Auguste Ortmans (1826-1884). Un maillon entre les Écoles du Nord et Barbizon, Montreuil-sous-Bois : Lienart, 2009. La copie du Cerf qui se mire dans l’eau est au château de Fontainebleau..
Les mouvements d’œuvres que l’on suit grâce au récolement de 1850 et à l’inventaire de 1856 n’ont pas la même ampleur que sous Louis-Philippe, mais il faut citer ceux de 1854 et l’entrée le 19 avril de six peintures, dont Le Découragement de l’artiste de Marcel Antoine Verdier ou le Cerf aux abois de Louis Godefroy Jadin4646. C. Granger, op. cit., Le Découragement de l’artiste, remarqué par le Prince-Président au Salon de 1852 (no 1232), fut restitué à l’impératrice en 1881 et vendu avec ses collections. Actuellement en mains privées. La Mort du Cerf, sans doute Le Cerf aux abois, est reparti au Louvre en 1864 ; il a été restitué à l’impératrice en 1881 ; elle l’a légué à la mairie de Menton où il se trouve toujours. Rappelons aussi l’envoi de 150 gravures et photographies destinées aux appartements des invités le 10 mai 1854, suivi du même nombre le 5 octobre. Archives du château. Correspondance générale. 1854-1858, no 510. L’Inventaire des Aquarelles, de la Sculpture, Gravure, Lithographie et Photographie établi en 1856 recense 448 gravures et photographies réparties dans les appartements. ; ce dernier trouve place dans l’antigalerie de bal. Le second transfert, le 26 septembre, concerne dix-sept œuvres d’artistes modernes parmi lesquelles des scènes mythologiques d’Abel de Pujol, Sisyphe aux Enfers, Ixion dans le Tartare, Les Propétides changées en rochers par Vénus, des paysages d’Adrien Dauzats, Intérieur de la cathédrale d’Albi, de Renoux4747. Plusieurs toiles, dont celles d’Abel de Pujol, repartent dès septembre 1858., Intérieur de l’église Saint-Étienne-du-Mont que l’on accroche dans la chambre à coucher de l’appartement A ; c’est l’occasion de faire revenir certaines œuvres au palais comme le Paysage avec chute d’eau de Bidault parti depuis 1814 et les Ruines d’Hubert Robert, depuis 1838. Quelques œuvres anciennes se glissent dans cet envoi, telles deux Sibylles, copies anciennes d’après Guerchin4848. La Sibylle inventoriée 142 B, déposée en 1876 au musée d’Aix-les-Bains, semble aujourd’hui perdue ; celle inventoriée 127 B (INV. 91) est au Louvre. exposées dans le salon près de la galerie Natoire, et deux toiles anonymes de l’école française du xviiie siècle, L’Ange de la Victoire et Vénus et deux amours.
Un autre envoi, celui du 10 novembre 1863, concerne deux compositions allégoriques exécutées un siècle plus tôt par Jean-Jacques Bachelier4949. Pour l’historique complet de ces tableaux, cf. cat. exp. Jean-Jacques Bachelier, op. cit., nos 106 et 107, repr. Les auteurs du catalogue ne mentionnent pas la présence de ces toiles à Compiègne en raison du bref séjour qu’elles y ont fait (elles sont reparties le 11 août 1864 pour le Louvre). pour la grande galerie du ministère des Affaires étrangères à Versailles, L’Europe savante et Le Pacte de famille. Ces deux toiles à la connotation politique marquée, symbolisant l’une la suprématie de la France sur l’Europe, la seconde rappelant le traité d’alliance du 15 août 1761 entre les Bourbons de France et d’Espagne qui met fin à la guerre de Sept Ans, ne restent qu’une année à Compiègne.
Comme pour les périodes précédentes, certaines peintures regagnent Paris. Le premier retour s’effectue le 13 octobre 1855 et concerne Le Rêve du bonheur de Marie-Françoise Constance Mayer-Lamartinière exposé en 1846 dans le deuxième salon (?) des appartements du Roi et de la Reine. Trois ans plus tard, le 24 mars 1858, le Louvre reprend, vraisemblablement à la demande de Napoléon III, deux portraits alors dans les magasins du château : le Portrait de Louis-Philippe Ier et la Charte de 1830 d’Horace Vernet et celui de La Reine Marie-Amélie et ses enfants d’Hersent. On peut supposer que la même démarche a guidé le retour le 26 janvier 1860 des deux panoramas de Jean-Charles Langlois, La Bataille de Navarin et Le Combat de Sidi-Ferruch, et du grand tableau d’Édouard Lacretelle la Mort du maréchal Duroc5050. Napoléon III semble peu apprécier la présence de peintures à caractère politique dans sa résidence d’automne. François Ier armé chevalier par Bayard, toile de Ducis entrée en juillet 1832, est une des dernières œuvres à quitter Compiègne, le 20 février 1868..
Les retours les plus importants vers le Louvre se situent le 25 octobre 1862. Les raisons invoquées sont simples : d’Entrayges, régisseur du palais, demande à Nieuwerkerke de retirer des tableaux « sans emploi dans cette résidence à cause de leurs grandes dimensions », mais surtout parce qu’un « certain nombre d’appartements du Palais sont désormais tendus en tapisseries des Gobelins ». Douze peintures parfois acquises aux salons par Louis-Philippe quittent nos collections, dont les Funérailles d’Atala de Girodet, le Portrait du roi des Belges de Biefvre, Paul et Virginie de Charles-Paul Landon et deux compositions de l’Histoire de don Quichotte d’après Coypel, Don Quichotte attaché à une fenêtre et Don Quichotte guérit de sa folie.
De la chute du Second Empire à la Grande Guerre
Le 16 août 1870, sur ordre de l’impératrice, huit salles du château, dont la galerie Coypel, sont transformées par anticipation en hôpital militaire ; le 20 septembre, les troupes prussiennes commandées par le général Manteuffel occupent le château ; il devient le quartier général des troupes d’occupation jusqu’au 7 octobre de l’année suivante. Les dommages qu’elles y occasionnent sont relativement minimes si l’on excepte la perte de quelques pendules, de l’un des deux panneaux de Girodet pour la chambre à coucher de l’impératrice Marie-Louise, La Fécondité, et la mutilation de celui du Printemps ; les combles au-dessus de la bibliothèque des invités sont incendiés, mais le château est à nouveau accessible au public le 24 décembre 1871.
La défaite de Sedan, qui entraîne la chute de l’empire et la proclamation de la république, scelle à jamais le destin de Compiègne. Le domaine de la Couronne est démantelé, le palais passe sous la tutelle de la direction des Bâtiments civils et du Mobilier national. Reste l’épineuse question du devenir de l’édifice et de ses collections. En l’espace de quelques mois, l’administration métamorphose la résidence des souverains « aujourd’hui délaissée et inutile » en musées5151. C. Lesure-Dechoux, La transformation du château de Compiègne de résidence des souverains en musée. 1870-1900, mémoire de l’École du Louvre, 2001-2002. Cf. P. de Chennevières-Pointel, Souvenirs d’un directeur des Beaux-Arts, réédition, Paris, 1979, t. I, p. 5 ; on envisage même de présenter les moulages « des antiquités du Mexique », cf. P. de Chennevières-Pointel, op. cit., 1979, t. V, p. 21.. On installe les collections gallo-romaines initiées par Napoléon III dans la salle des Gardes, puis on délocalise dans la salle des Colonnes les collections d’art khmer venant du Louvre. La transformation de la galerie de Bal en galerie de Peintures5252. Des photographies datant des années 1920 et un dessin inédit de J. Jaunbersin permettent de visualiser la disposition des tableaux dans cette galerie. en supprimant certains lustres et en occultant le côté droit de cette salle vise certes à insuffler une vie nouvelle au palais ; les visiteurs ont une meilleure lisibilité des collections, mais le but non avoué est le démantèlement définitif d’une résidence impériale en portant un coup fatal aux souvenirs des heures les plus brillantes de l’époque de Napoléon III. C’est la volonté de l’architecte du palais, Joseph Auguste Lafollye, d’utiliser au mieux de leur capacité d’autres espaces comme la salle des Gardes, la salle à manger de l’impératrice auxquelles il faut ajouter les galeries déjà dévolues à Coypel et Natoire.
La meilleure démonstration de ces transformations fondamentales du palais en musées est fournie par les Notices sur les peintures et sculptures du Palais. L’édition de 1867 poursuit la même veine que les publications précédentes. Son rédacteur, Jean-Joseph Pellassy de l’Ousle, décrit le palais salle par salle. Les peintures de la chapelle sont minutieusement citées, et l’on peut noter la présence de Le Martyre de sainte Victoire de Giovanni Antonio Burrini ou de Le Repos de la Sainte Famille de Valerio Castello ; il en va de même avec la bibliothèque de l’Empereur et la description précise des compositions de Girodet. À l’inverse, la Notice des tableaux… éditée par Paul Durrieu en 1893 est désormais un catalogue de musée où les œuvres sont classées par école à l’image d’un musée traditionnel.
La même démarche guide la rédaction de l’« Inventaire des Tableaux exposés dans les Galeries et les Appartements du Palais de Compiègne » élaboré en 1874. Les peintures sont énumérées par ordre alphabétique. Les appartements, tels que nous les connaissons, n’apparaissent plus nommément ; seuls les appartements Double de Prince sont mentionnés comme tels avec la liste des peintures qui les décorent. On apprend ainsi que le Salon circulaire abrite désormais en lieu et place de Une sorcière tirant les cartes à une jeune femme de l’île d’Ischia de Bonnefond, du Paysage avec animaux de Brascassat, du Troupeau de moutons et de chèvres de Knip et des deux compositions de Carlo Labruzzi tels qu’on les trouve cités en 1856, le Paysage à l’aqueduc avec cavaliers de Jean-François Hue et L’Orpheline de Pierre-Roch Vigneron, pour ne citer qu’eux, des tableaux encore dans nos collections.
L’aménagement de la galerie de Bal en galerie de Peintures s’effectue par l’envoi de 122 œuvres sélectionnées par le conservateur du département des Peintures, le vicomte Both de Tauzia, qui procède lui-même à leur accrochage5353. P. de Chennevières-Pointel, op. cit., t. V, p. 68.. Hormis quelques œuvres du xixe siècle, son choix se porte sur des peintures des écoles françaises, italiennes et nordiques des xviie et xviiie siècles. Il constitue ainsi, comme à Fontainebleau où soixante-treize tableaux sont déposés en septembre 1875, une sorte de musée idéal avec une présentation dense caractéristique de l’époque. Quarante-six peintures sont placées dans la salle des Colonnes, dont Le Repos de la Sainte Famille de Valerio Castello, le Saint Barthélemy de Charles Mellin, La Visitation de Josse Voltigeant. La galerie de Bal regroupe des œuvres aussi diverses que les deux paysages d’Anesi : Paysage avec pêcheur au bord d’une rivière et Paysage avec pêcheurs sur une barque, Un enfant endormi de Mignard, les Pèlerins d’Emmaüs de l’école de Rembrandt, les deux Vue des bords du Rhin (INV. 1309 et INV. 1310) de Jan Griffier. Pas moins de vingt-huit toiles sont accrochées dans la salle à manger de l’Impératrice qui rassemble des compositions aussi diverses que Les Saturnales ou Les Saturnales ou L’Hiver d’Antoine-François Callet, les Laveuses sous un pont monumental d’Hubert Robert, la Sainte Geneviève de Pierre-Narcisse Guérin et l’Entrée du port du Havre, dessin de William Callow.
Même si le palais perd ses symboles impériaux, il faut resituer ces envois dans le contexte incessant des allées et venues de tableaux entre Compiègne et le Louvre. Cette évocation serait incomplète si nous omettions les transferts de novembre 1887 vers le palais du Paysage. Les laveuses de Jean-Honoré Fragonard et du Portrait de femme dit de la duchesse de Fontange par Simon Verelst5454. F. Engerand, Inventaire des tableaux du Roy rédigé en 1709 et 1710 par Nicolas Bailly, 1899, p. 276 ; « Autour d’un portrait », dans La Dépêche de l’Oise, janvier 1906, p. 3-9 ; A. Alexandre, dans Le Figaro illustré, avril 1911, repr. p. 20. J. Foucart a restitué la véritable identité de ce portrait : il s’agit de Louise de Keroualle, duchesse de Portsmouth, voir Catalogue des peintures flamandes et hollandaises du musée du Louvre, Élisabeth Foucart-Walter éd., Paris : Gallimard / Musée du Louvre, 2009, p. 285, repr.. Le 3 janvier 1896, Compiègne reçoit cinq des six cartons de tapisserie de l’Histoire d’Esther peints par Jean-François de Troy entre 1737 et 1742 pour les Gobelins : Le Triomphe de Mardochée, La Toilette d’Esther, Le Repas d’Esther, La Condamnation d’Aman, Le Dédain de Mardochée, permettant une utile confrontation avec les tapisseries du même sujet exposées dans les appartements des Maréchaux ; sept mois plus tard, nouvel envoi de dix peintures, et non des moindres, des écoles italienne et française du xviie siècle, telless Le Retour de l’Enfant prodigue de Lionello Spada et La Purification de la Vierge de Guido Reni, provenant tous deux de la Galerie ducale de Modène, ou Les Noces d’Angélique, carton de la suite des Tentures des fragments d’Opéra peint en 1733 par Charles-Antoine Coypel5555. Les cartons de De Troy ont quitté le château vers 1912 ; les toiles de Spada et de Guido Reni sont reparties en 1981 au Louvre ; celle de Charles-Antoine Coypel est déposée à Nantes depuis 1982..
Le 21 juillet 1875, soixante-six peintures de l’école française du xixe siècle (cinquante-six selon les listes du Louvre) retournent à Paris ; il s’agit en majorité de tableaux d’artistes modernes entrés dans nos collections vers 1840 comme Le Pas Bayard de Guiaud ou Raphaël recevant le pape Léon X dans son atelier de Jean-Henry Marlet.
Le début du xxe siècle ne va pas faire exception. Le premier envoi date du 22 juin 1901 ; il comprend Effet du matin, paysage de Simon-Mathurin Lantara déposé en échange des Pèlerins d’Emmaüs d’un élève de Rembrandt, jugé « en mauvais état5656. Le retour au Louvre des Pèlerins d’Emmaüs, « le Rembrandt de Compiègne », fit grand bruit, cf. M. Nicolle, « Les récentes acquisitions du musée du Louvre. Département de la peinture (1902-1904) », dans R.A.A.M., p. 405-406, repr. p. 407 ; voir également Bulletin de l’Art ancien et moderne, no 114, 9 novembre 1901, p. 268-270. Pour l’historique complet de cette œuvre, on se reportera à la notice de Jacques Foucart dans cat. exp. Le Siècle de Rembrandt, Paris : Réunion des musées nationaux, 1970, no 185, repr. Le paysage de Lantara regagne le Louvre en mars 1954 ; il est aujourd’hui en dépôt au Mobilier national ; quant au tableau de Gros, il fait partie des collections du château de Versailles depuis 1938. ». Le second, le 29 septembre, se rapporte au tableau d’Antoine-Jean Gros Le Général Bonaparte au pont d’Arcole. Son histoire pourrait justifier sa présence à Compiègne : ayant appartenu aux collections de Napoléon Ier puis de Napoléon III, il est mis sous séquestre en 1870 ; restitué l’année suivante à l’impératrice Eugénie, il entre dans les collections nationales en 1879. Le 12 décembre de la même année, le Louvre envoie à Compiègne deux toiles d’esprit diamétralement opposé : la Naissance de Vénus de William Bouguereau que l’on expose dans le Salon circulaire et la Chasse aux renards de François Desportes, attribuée aujourd’hui avec plus de vraisemblance à l’école française du xviiie siècle. Par un juste retour des choses, le 19 mai 1903, l’allégorie de Mignard Neptune offrant ses richesses à la France. Allégorie à Louis XIV retrouve l’antichambre du Grand Couvert qu’elle avait quittée en 1837.
Les collections de peintures pendant la tourmente de 1914-1918
Fermé aux visiteurs depuis le 1er août, le château est occupé par les Allemands le 2 septembre 19145757. Pour l’histoire complète de cette période, E. Caude, dans cat. exp. Le Château de Compiègne dans la tourmente de la Grande Guerre (1914-1918), Paris : Réunion des musées nationaux, 2002. ; le 28 octobre, un hôpital temporaire de 250 lits, installé dans les appartements historiques par le service de Santé militaire, reçoit les premiers blessés. Le sous-secrétariat aux Beaux-Arts peut difficilement s’opposer à cet état de fait conditionné par une série d’instructions précises données le 16 novembre au ministère de la Guerre (Service de santé des armées) et à exécuter à ses frais. Les consignes se rapportent à certaines salles abritant des peintures : dans la salle des Fêtes, l’actuelle galerie de Bal, un papier d’apprêt sera collé sur les stucs blancs jusqu’à une hauteur de 2 mètres ; dans la salle des Stucs (salle à manger de l’Impératrice), les tableaux seront préservés par des toiles. Il n’y aura « rien sur les stucs jaunes, ceux-ci ne semblant pas être susceptibles d’être endommagés », par contre « les lits devront être tenus à 0,50 des parois » ; les peintures exposées dans les galeries Coypel et Natoire seront préservées par des toiles « jusqu’à 2 mètres de hauteur ».
Compiègne et le palais vivent des heures sombres en 1915. À plusieurs reprises, les Allemands bombardent la ville, engendrant des dégâts au palais ; le 10 août l’administrateur du Mobilier national, Ernest Dumonthier, prend les premières dispositions destinées à sauver les objets les plus précieux. Le 28 du même mois, deux bombes allemandes s’écrasent à quelques minutes d’intervalle sur la place du château et dans la cour d’honneur. Des décisions urgentes s’imposent. Le 30 août, un télégramme du sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts demande au conservateur d’« enlever dans la plus large mesure tous meubles et objets représentant soit [un] intérêt historique, soit [une] valeur artistique » et de les évacuer vers une ville proche de Compiègne, à l’abri des bombardements. Senlis semble répondre à ces conditions, mais le service de Protection des monuments et œuvres d’art de la zone des armées opte pour Chantilly, qui reçoit des meubles mais surtout Les Saisons (INV. 4952, INV. 4953, INV. 4954 et INV. 4955) de Girodet, l’Histoire de Psyché (C.2010.0.026, C.2010.0.027, C.2010.0.028 et C.2010.0.029) de Dubois-Redouté et les grisailles de Sauvage5858. Dossier « Mobilier et œuvres d’art évacuées « évacués » cf. « mobilier » sauf s’il ne l’a pas été du musée de Compiègne. Guerre 1917-1918 ». Le procès-verbal d’évacuation, établi seulement le 20 septembre 1918, en donne la liste complète.. Les moyens de transport sont limités. Le ministère de la Guerre, sollicité, met trois véhicules à la disposition du château, qui mobilise son personnel aidé par celui du Mobilier national pour effectuer ces déménagements.
Le 4 septembre, le sous-secrétaire aux Beaux-Arts donne l’ordre au conservateur « d’enlever et de remettre au Mobilier national tous les meubles et objets mobiliers sans exception présentant un caractère historique ou artistique ». Le 6 septembre 1915, dans l’urgence et semble-t-il sans programmation établie, les premières peintures quittent Compiègne pour Paris. Il s’agit de trente-quatre tableaux, dont vingt-trois cartons de l’Histoire de don Quichotte de Coypel, les cinq Lancret inspirés des Contes de La Fontaine, les Laveuses sous un pont monumental d’Hubert Robert, quatre vues de Venise (dont La Piazza San Marco verso la Piazetta ou La Piazza San Marco dalla Torre dell’ Orologio et Le Grand Canal et le Fondaco dei Turchi) d’après Canaletto et le Portrait de jeune homme de Rubens. Les toiles sont évacuées dans trois camions qui transportent également douze banquettes provenant de la galerie de Bal, six pliants du Petit Salon et diverses chaises. Les peintures sont expédiées au Louvre et dans un dépôt aménagé au Panthéon ; elles y resteront jusqu’en 1919.
Le 13 septembre, un nouveau contingent de mobilier et trente-quatre peintures5959. Id. Parmi les toiles évacuées, citons les deux Vue des bords du Rhin de Jan Griffier, la Nativité de Biscaïno, deux paysages de Léon Fleury. Les reçus sont signés par Clémenson, brigadier du Garde-Meuble. prennent la direction de Paris ; cette opération se renouvelle les 15 et 17 septembre avec respectivement trente-deux et cinquante-cinq peintures ; le 28 octobre, trente et une toiles, dont les deux grands paysages de Volaire (Marine. Intérieur d’un port méditerranéen avec une tour et Marine. Effet de lune ; vue de la baie de Naples) et les Romanelli (Moïse sauvé des eaux, Le Miracle des cailles en Égypte et Moïse défendant les filles de Jethro), sont évacuées. Le dernier transfert de l’année a lieu le 4 novembre ; treize œuvres des écoles françaises et italiennes des xviie et xixe siècles sont concernées ; de son côté, le Service d’architecture est « invité à prendre toutes mesures utiles pour protéger contre les éclats les tableaux de Natoire, Oudry, Desportes fixés aux murs sous moulures et qui ne pourraient être enlevés qu’avec de grandes difficultés ».
Après une accalmie toute relative en 1916-1917, Compiègne subit de nouveaux bombardements en 1918. Comme le rappelle Jacques Robiquet, « dès le 16 février [1918], bombes et torpilles encadrent le palais6060. J. Robiquet, Pour mieux connaître le palais de Compiègne, 1938, p. 150. ». Les bombardements redoublant d’intensité, la ville et le château doivent être évacués le 26 mars. Ce dernier reste sans surveillance jusqu’au 12 avril, date de retour du brigadier Ducellier et de son épouse. Le rapatriement des peintures vers Paris reprend le 16 avril ; le 23, la série de don Quichotte de Natoire, trois toiles de ou d’après Oudry, une de Desportes, les quatre Attributs de chasse (M.I. 771, M.I. 772, M.I. 773 et M.I. 774) d’Ortmans, les Noces d’Angélique et de Médor de Charles-Antoine Coypel et Anacréon de Piat-Joseph Sauvage, en tout dix-neuf peintures, prennent la direction du Louvre.
Ces données restent fragmentaires. On ne doit pas oublier que les collections de peintures, fortes de 242 numéros selon l’inventaire établi vers 1893, non compris les décors de Dubois-Redouté, Girodet et Sauvage, ont été entièrement évacuées, d’abord au Louvre avec leurs cadres puis déposées, désencadrées, au musée de Blois, à une date qui nous échappe pour l’instant, le tout dans des conditions épiques grâce à l’abnégation et au dévouement du personnel chargé du patrimoine.
Des retours quelque peu mouvementés
L’armistice du 11 novembre 1918 ne met pas fin pour autant aux souffrances du palais et de ses collections. Le 16 décembre, le quartier général de la IIIe armée s’installe au château pour de longues semaines. À compter du 24 février 1919, le service « Oise » du ministère des Régions libérées prend ses quartiers au second étage dans des espaces donnant sur le parc. Ce « redoutable service6161. J.-M. Moulin, Le Château de Compiègne, 1987, p. 75. » est responsable du grave incendie qui a ravagé la chambre à coucher de l’Empereur, endommageant à jamais le plafond de Girodet et le salon du Conseil.
De son côté, l’État souhaite retourner à Compiègne les œuvres évacuées depuis 1915. Le 16 janvier 1919, le ministère de l’Instruction publique, désireux d’ouvrir à nouveau le Panthéon à la visite, prie le conservateur du château de « prendre les dispositions pour faire enlever le plus tôt possible […] les divers objets déposés par le Palais national ». C’est chose faite… dix mois plus tard : le 10 novembre. Les trente-trois peintures mises à l’abri dans ce monument sont de retour à Compiègne où les attendent depuis le 27 avril treize peintures parties le 4 novembre 1915.
Les opérations s’accélèrent en 1920 : les 213 tableaux envoyés à Blois rentrent par wagon le 19 février ; le 11 mai, les 114 cadres entreposés au Louvre regagnent Compiègne, suivis le 20 mai par quinze cadres et sept toiles provenant du Panthéon, dont le Portrait de Louis XIV de Le Brun et le grand tableau de Gros Le Premier Consul passant une revue et distribuant des sabres d’honneur après la bataille de Marengo.
Pourtant, ces retours s’effectuent non sans difficultés. Le 19 janvier 1922, deux toiles de Natoire de la suite de l’Histoire de don Quichotte, Collation de Sancho dans la forêt dit aussi Le Repas de Sancho dans la forêt et Le Départ de Sancho pour l’île de Barataria (INV. 6869, INV. 6864 et INV. 6868), ainsi que cinquante-quatre cadres de la collection de peintures n’ont pas encore réintégré le château malgré les demandes pressantes du conservateur, à qui on tente de faire croire que ces peintures ont déjà été restituées alors qu’elles sont toujours au Panthéon. Finalement, une camionnette des Monuments historiques les rapatrie au château le 11 août 1922.
Le calme revenu ou les premières tentatives de restitution d’états historiques
Le palais a beaucoup souffert de la guerre et des diverses occupations successives. Parmi les nombreuses urgences, la réouverture au public et un redéploiement des collections s’imposent. Grâce à la ténacité du conservateur Édouard Sarradin, qui accomplit un travail gigantesque sur les collections malgré un contexte peu favorable, le palais retrouve tant bien que mal son rang de demeure royale puis impériale6262. Les incertitudes qui planent à cette époque sur le devenir du palais sont analysées par J.-M. Moulin dans la préface du catalogue de l’exposition consacrée à la collection Barthe-Dumez donnée à Compiègne en 1923, Le Goût d’un amateur au Ier Empire, Paris : Réunion des musées nationaux, 1995..
Édouard Sarradin, en poste depuis le 1er mai 1918, ne fait que poursuivre et amplifier l’œuvre de son prédécesseur Arsène Alexandre qui dès 1910 s’efforce « de rétablir l’ordre dans les collections d’objets d’art du xviie, du xviiie siècle, de l’Empire et même du Second Empire et de rendre à la demeure le style le plus pur possible, et le caractère de grandeur ». Cette philosophie, nouvelle pour l’époque, par ailleurs développée par Arsène Alexandre dans une lettre adressée le 28 mars 1913 au sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts concernant le retour au Louvre de La Naissance de Vénus de William Bouguereau, marque un coup d’arrêt aux envois d’œuvres « ne se rattachant en rien à l’histoire ni au style de Compiègne6363. Arsène Alexandre à Le Prieur, 12 juillet 1913. La position d’Arsène Alexandre est ambiguë : il souhaite le départ de la toile de Bouguereau tout en sollicitant auprès de son collègue du Louvre « une peinture plus en harmonie avec nos collections ». Archives du château. Correspondance officieuse. 1909-1913. ».
Deux tendances majeures se font jour à Compiègne. Elles conditionnent les envois du Louvre qui reprennent dès 1922 : présentation d’œuvres de Desportes et d’Oudry « en souvenir des chasses royales » du xviiie siècle et de portraits et autres toiles évoquant la présence des Orléans puis de Napoléon III pour le xixe siècle.
C’est dans cet esprit qu’en juillet 1922 Compiègne s’enrichit de 189 toiles du fonds d’atelier de Desportes6464. Ces peintures sont reparties à Sèvres dans les années 1996-1997. déposées par la manufacture de Sèvres ; elles figurent des études d’animaux, des paysages ou des natures mortes auxquels se joignent vingt-deux peintures, dont neuf de Desportes et six d’Oudry représentant les chasses et les portraits des chiens des meutes royales de Louis XIV et Louis XV autrefois dans nos collections ou dans l’appartement du roi à Marly. Presque un siècle après leur départ, le château retrouve trois tableaux peints pour l’appartement de Louis XV : Pompée et Florissant, Zerbine et Jemite de Desportes et Blanche d’Oudry.
Trois chasses d’Oudry, une Chasse aux loups, le Combat de deux coqs de Marly et sans doute le Chien en arrêt sur une perdrix rouge, exposées dans les appartements dans les années 1820-1830, réintègrent également les collections tandis que deux autres peintures de cet artiste, Chien barbet faisant lever deux canards dans les roseaux et Un devant de cheminée représentant un chien avec une jatte auprès de lui entrent temporairement à Compiègne avant d’être déposées, la première à Gien en 1952, la seconde à Senlis en 1956. La même démarche s’applique aux œuvres de Desportes : les tableaux Chasse au loup, Chiens, lapins, cochon d’Inde et fruits et Zette, chienne de la meute de Louis XIV, déjà présents à Compiègne en 1827 et 1832, retrouvent dès lors les salles du château. Deux autres compositions de ce peintre, une Chasse au sanglier, une Chasse au cerf, et deux portraits de chiens, Folle et Mite et Tane, complètent cet envoi.
Les envois de 1922 rappellent que Compiègne a été une résidence officielle des familles royales puis impériales au xixe siècle. Ce passé, que l’on avait jusqu’à présent négligé, revient peu à peu au goût du jour et s’illustre dans les compositions de Franz Xaver Winterhalter, Portrait de la reine Amélie et Portrait en pied du duc d’Orléans, et dans la copie par Ange Tissier de L’Impératrice Eugénie d’après Winterhalter, provenant des collections de la manufacture de Sèvres. Des œuvres contemporaines de l’époque de Napoléon III font leur entrée au palais telles que Le Bénitier : Notre-Dame-des-Roses dit aussi La Vierge au buisson de roses de Simon Saint-Jean et L’Aqueduc de Buc, dans la vallée de Jouy d’Étienne-Adolphe Viollet-le-Duc.
Ces enrichissements que d’aucuns pourraient qualifier de modestes sont de la plus haute importance à une époque où Compiègne cherche un nouveau souffle et souhaite rappeler, par des dépôts venant du Louvre ou de Versailles, la place que cette résidence a tenue dans l’histoire de France. La ténacité d’Édouard Sarradin, ses fins talents de diplomate et une certaine compréhension de Gaston Brière, conservateur au château de Versailles, vont être déterminants dans les négociations, parfois délicates, qui se déroulent, en cette année 1922, entre Compiègne et Versailles par l’intermédiaire du département des Peintures du Louvre.
Versailles entreprend au début des années 1920 les premières « restitutions artistiques » de ses appartements historiques et souhaite entrer en possession de quelques peintures conservées à Compiègne qui, de son côté, reçoit de Versailles des portraits des familles royales et impériales du xixe siècle. Ces échanges vont engendrer un mouvement d’œuvres de grande ampleur entre les deux institutions. En juillet 1921, deux compositions de Van der Meulen, la Bataille de Cassel et la Prise de Saint-Omer, rejoignent Versailles ; deux ans plus tard, Borée enlevant Orithye de François Verdier retrouve son emplacement d’origine au Salon rond de Trianon.
Gaston Brière négocie également le retour à Versailles de quatre marines de Joseph Vernet peintes en 1762 pour la bibliothèque du Dauphin. Il semblerait qu’en compensation, le Louvre souhaite récupérer, au grand désespoir d’Édouard Sarradin6565. « Je remettrai donc, s’il le faut [souligné], mon Vernet [au transporteur] Chenue » ; Sarradin ne désespère pas de démontrer à ses collègues parisiens l’erreur qu’ils commettent en reprenant cette toile que personne ne pourra voir, ainsi que les trois pendants du Louvre. « Ces tableaux sont sacrifiés », écrit-il dans la réponse qu’il adresse à Brière le 23 juillet., un Effet d’orage du même artiste conservé à Compiègne6666. Cette toile appartient à la série des Quatre parties du jour peintes pour la bibliothèque du château de Choisy. Archives du château. Dossier « Correspondance entre Versailles et Compiègne pour l’envoi d’une toile de Court ».. Gaston Brière veut accélérer la procédure. Dans une lettre adressée à Sarradin le 21 juillet 1922, il lui demande « amicalement de presser le départ du Vernet [parce qu’il tient] beaucoup à posséder les quatre pendants à réintroduire dans leurs cadres de la bibliothèque du Dauphin ». Gaston Brière ajoute : « C’est une restitution artistique fort intéressante. »
Édouard Sarradin ne peut que s’exécuter d’autant plus qu’il obtient de Versailles, le 28 juillet 1922, le dépôt de vingt-six peintures6767. « Comment faire la sourde oreille puisque l’on se montre au Louvre aussi gentil envers moi (je veux dire aussi généreux) qu’on l’est à Versailles ? » Il convient de rappeler que dès 1908 et 1912 Versailles a déposé à Compiègne trois sculptures : Marie-Louise d’après Bosio, l’Impératrice Eugénie par Pollet et Napoléon III, statue équestre de Frémiet. figurant les Orléans, dont Louis XVIII, roi de France (1755-1842) par Jean-Pierre Franque d’après le baron Gérard, et Charles X, roi de France (1757-1836) du même d’après Horace Vernet. Le château de Compiègne retrouve à cette occasion le Portrait de Louis-Philippe Ier et la Charte de 1830 parti au Louvre depuis le 24 mars 18586868. Une autre version entre à Compiègne à la même date ; il s’agit d’une copie d’après Winterhalter (LP 4358) toujours présente dans nos collections. et d’autres œuvres qui se rapportent à la famille des Orléans (Louis Charles Philippe d’Orléans, duc de Nemours ; Victoire-Auguste-Antoinette de Saxe-Cobourg, duchesse de Nemours d’après Winterhalter) et aux grands événements qui ont marqué leur présence à Compiègne tel le Mariage de Léopold Ier, roi des Belges, et de Louise d’Orléans, 9 août 1832 par Joseph Désiré Court6969. Dans la lettre adressée le 28 juin 1922 à Gaston Brière, Édouard Sarradin évoque longuement l’arrivée de cette toile à Compiègne : « Il ne manque plus que lui […] Où Léopold serait-il mieux qu’à Compiègne ? Je vous le demande. » Archives du château. Correspondance entre Versailles et Compiègne pour l’envoi d’une toile de Court. présenter la fin comme ds note 66 ?.
Napoléon III et l’impératrice Eugénie sont évoqués à travers les portraits d’Hippolyte Ravergie d’après Flandrin, les deux cartons de tapisserie de Pierre Victor Galland commandés pour la manufacture des Gobelins en 1856, auxquels s’ajoutent trois sculptures : L’Impératrice Eugénie protégeant les orphelins et Le Prince impérial et son chien Nero de Carpeaux ainsi que Souvenir de Notre-Dame de Marie-Louise Lefèvre-Deumier.
Pas à pas et très méthodiquement, Compiègne poursuit, durant cette période de l’entre-deux-guerres, la constitution d’un fonds consacré aux Orléans, à Napoléon III et au Second Empire. Les contributions du château de Versailles vont être à nouveau essentielles, à commencer par le dépôt en juin 1928 du pastel d’Eugène Giraud, la Princesse Mathilde7070. Dans une lettre adressée à Édouard Sarradin le 9 juillet 1928, Gaston Brière s’inquiète de savoir si « le grand pastel de la Pesse Mathilde est bien arrivé, sans cassure (du verre) ». Il profite de l’occasion pour demander et obtenir l’envoi de la Fécondité d’après Lemoyne, pour le Salon de la Paix, en dépôt à Compiègne depuis 1874. Rappelons qu’en 1931 Compiègne retourne à Versailles une toile peinte pour le Grand Trianon, Mercure rendant à Apollon son arc et ses flèches de Noël Coypel et l’Hôpital militaire en Italie en 1797 de Nicolas-Antoine Taunay destiné à la décoration d’une des salles du Premier Empire ; deux autres peintures suivront en 1935, Les Deux Chiens et l’Âne mort et Le Renard et la Cigogne, exécutées en 1747 par Oudry pour les appartements du Dauphin.. Entre mars 1929 et avril 1937, Versailles dépose à Compiègne non moins de vingt-deux œuvres, peintures et sculptures confondues, dont l’Inauguration du canal de Suez en présence de l’impératrice Eugénie, 17 novembre 1869 d’Édouard Riou ou encore le groupe en marbre de Vincenzo Vela, L’Italie témoignant sa reconnaissance à la France7171. Lettre de Gaston Brière à Édouard Sarradin, 29 novembre 1932. Notre collègue de Versailles évoque les peintures « d’époque Louis-Philippe qui pourraient quitter Versailles en faveur de Compiègne ». Ce sera chose faite le 13 juin 1933 avec l’envoi de huit portraits de la famille royale d’Orléans. Dans la même missive, Brière annonce à Sarradin qu’il lui « réserve un grand cadeau… et lourd ! » Le groupe de Vela pourra être déposé à Compiègne, Brière ayant « besoin de l’emplacement pour ériger le tombeau de Diane de Poitiers oublié depuis Louis-Philippe dans des dépendances du Parlement »..
De son côté, le Louvre continue sa politique de dépôts d’œuvres destinées à évoquer le règne de Louis-Philippe avec deux copies de Winterhalter envoyées en 1928, Louis-Philippe monté sur un cheval blanc et Louis-Philippe Ier et la Charte de 1830, et un paysage de La Berge, Vue d’un bourg de Normandie. Voyageurs descendant de diligence, reçus le 15 mai 19337272. Cette œuvre est actuellement exposée au musée national de la Voiture et du Tourisme.. Le Second Empire n’est pas en reste avec les deux portraits d’Ernest Hébert, Madame Augusta Pannifex et Madame Delessert.
De l’après-guerre à l’époque actuelle
Comparées aux périodes précédentes, les années s’étendant de 1930 à nos jours peuvent sembler plus ternes. Cette apparence est toute relative. Dès 1938, face aux menaces extérieures, et afin d’éviter autant que possible les errements de la Première Guerre mondiale, le gouvernement recense les sites susceptibles d’abriter les collections nationales en cas de conflit. Plusieurs possibilités sont examinées. Finalement, Pierre Schommer (1893-1973), chargé du plan d’évacuation des collections publiques, porte son dévolu sur le château de Chambord, éloigné de tout terrain militaire et de tout centre urbain d’importance. Les bruits de bottes se faisant plus pressants, les peintures du fonds ancien, y compris celles du musée de la Voiture, ainsi que les tapisseries de l’Histoire de don Quichotte et d’autres objets d’art prennent la route de Chambord à l’automne 19397373. Ces événements dramatiques ont fait récemment l’objet d’une publication et d’une exposition : Otages de guerre. Chambord 1939-1945, Domaine national de Chambord, 2009. Voir également archives des musées nationaux U2. Compiègne. Septembre 1939 et le dossier correspondant aux archives de la conservation à Compiègne.. Le tout s’effectue avec rigueur ; le contenu de chaque caisse est soigneusement répertorié comme le confirment les archives. Cette fois, le palais ne sera ni bombardé (une bombe allemande endommage toutefois la terrasse en mai 1940) ni occupé, même s’il abrite à la Libération l’état-major de l’armée américaine. Les œuvres sont de retour en 1946.
L’établissement va connaître de profondes transformations. L’administration met un terme aux envois, souvent non justifiés, de peintures n’ayant pas de rapport avec les collections du palais. L’année 1954 voit repartir au Louvre la quasi-totalité des toiles faisant partie de l’envoi du 22 août 18747474. Il en va de même pour les envois de 1922. Les peintures de Desportes ont été déposées soit au musée de la Chasse à Gien, soit au musée de la Vénerie à Senlis.. La restitution des états historiques, amorcée entre les deux guerres, s’amplifie et va progressivement lui donner sa physionomie actuelle. Cette politique volontariste conduit au retour définitif entre 1947 et 1964 de l’ensemble des toiles de Desportes commandées pour le cabinet du Jeu en 1739. Elles peuvent ainsi être regroupées et présentées dans la galerie des Chasses de Louis XV, même si cette dernière ne correspond pas à son état originel. Cette galerie évoque d’autant plus le règne de Louis XV qu’elle a pu s’enrichir de deux œuvres majeures d’Oudry, Le Garde-chasse La Forêt avec Fine-Lise et Lise, entré par dation en 1996, et Louis XV tenant en laisse un limier, acquis par préemption en 2008.
Cependant, nous ne pouvons terminer cet historique sans mentionner la création des musées de l’Impératrice et du Second Empire, qui apportent un souffle nouveau à l’ensemble du palais.