Les peintures de la chapelle
Depuis les origines du château sous Charles V, la chapelle a toujours occupé le même emplacement. Le « grand projet » de l’architecte Ange-Jacques Gabriel (1698-1782) approuvé par le roi en 1751 prévoyait pourtant la création d’un nouveau lieu de culte à la mesure du nouvel édifice, un peu plus à l’ouest, au niveau de l’actuelle cour de la Régie. Conçue selon un plan centré en croix grecque, elle ne fut jamais édifiée, principalement pour des raisons budgétaires11. Pour l’étude des projets de nouvelle chapelle, voir : Elisabeth Caude, « La chapelle du château de Compiègne », dans Les cahiers compiégnois, Histoire et patrimoine, no 2, année 2009, Société historique de Compiègne, p. 20-22..
Sans doute est-ce pour orner ce nouvel édifice jamais construit que fut commandé le tableau de Nicolas Guy Brenet (1728-1792) représentant saint Louis rendant la justice dans le bois de Vincennes. Présenté au salon de 178522. Explication des peintures, sculptures et gravures, de Messieurs de l’Académie Royale […], Paris, Imprimerie de la Veuve Hérissant, 1785, no 8, p. 7., il est transporté peu après dans la chapelle du château de Compiègne. Lors des événements révolutionnaires, il rejoint l’ancien hôtel-Dieu de la ville devenu hôpital Saint-Nicolas puis est placé dans l’église Saint-Jacques où il se trouve toujours33. https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/palissy/PM60000597. Le Rapport des commissaires Moreau et Lemonnier sur les monuments du château de Compiègne du 28 novembre 1792 mentionne dans la chapelle une copie des Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse44. A.N., F17 1032, dossier 8. Voir aussi Nouvelles archives de l’art français et moderne, Troisième série, t. XVII, 1901-1902, p.314-315. Le tableau reste à identifier précisément.. L’État des tableaux restés en dépôt dans la Palais de Compiègne du 10 février 180955. A.C.C., no 38-1. nous apprend par ailleurs qu’un tableau de Nicolas Bernard Lépicié (1735-1784), Le Martyre de saint Denis, avait rejoint la chapelle du château après avoir été livré pour celle de la chancellerie en 177166. Il est aujourd’hui conservé dans l’église Saint-Antoine de Compiègne..
Lorsque Napoléon décide en 1807 de redonner à Compiègne son statut de résidence de chasse, l’ancienne chapelle, au même titre que les appartements, fait l’objet de travaux de mise au goût du jour. Le projet architectural tente par la solennité et la régularité de son décor de compenser les petites dimensions de l’édifice originel. La structure palatiale sur deux niveaux est conservée et mise en valeur avec notamment le percement d’une porte centrale sous la tribune ouvrant sur la galerie des Colonnes. Au cours de l’année 1808, un plafond à caissons ornés de rosaces est créé dans une veine néo-classique. Les peintres Dubois et Redouté sont chargés de le peindre en couleur faux marbre (fig. 2). En harmonie, un nouvel autel en marbre blanc sculpté par Thélène et orné de motifs en bronze doré fournis par Feuchère est mis en place en 1811. Son tabernacle installé en 1812 reçoit une composition peinte par Blondel marouflée sur cuivre77. Ces éléments sont toujours visibles in situ.. Selon le manuscrit tableaux, gravures […] qui décorent le Palais impérial de Compiègne88. Château de Compiègne, C.A.A. 61.1810-8., la chapelle est pendant cette période ornée de sept tableaux religieux. Hormis celui donné au Dominiquin (1581-1641), tous appartiennent à l’école française du xviie siècle99. Les tableaux recensés sont : La Hyre, Sainte Famille ; Blanchard, Sainte Famille ; Blanchard, Le Christ en croix et les trois Maries, Rigaud, Saint André, Blanchard, Un Apôtre ; Philippe de Champaigne, Saint Philippe ; Dominiquin, Le Christ en pèlerin.. Cette sélection de tableaux évoquant l’atticisme parisien et le siècle de Louis XIV doit sûrement être mise en relation avec le parti néo-classique du décor architectural. Pourtant, aucune de ces œuvres n’a ensuite été conservée sur place.
Sous la Restauration, le décor va en effet évoluer. Les envois de tableaux du Louvre à Compiègne s’intensifient et en 1823, l’érudit compiégnois Léré1010. Jean-Antoine Léré, Notice des Peintures à demeure Existantes au Mois de Mai 1823 Dans les Grands Appartements du Château Royal de Compiègne, manuscrit, bibliothèque municipale de Compiègne, VDC 197/V 7 a) 3. nous apprend que l’accrochage de la chapelle a été complètement modifié : huit nouveaux tableaux sont répartis sur les deux niveaux de l’édifice. Si la moitié d’entre eux présente une iconographie mariale, les styles, siècles et écoles auxquels ils se rattachent sont plus diversifiés qu’auparavant. Les aires italienne et française dominent ; seul Les Couches de la Vierge et son revers La Présentation de la Vierge au Temple peint en grisaille semble plutôt relever des écoles du Nord1111. Ce double tableau était alors donné à Cranach. Il se trouve aujourd’hui au musée des Beaux-Arts de Nancy et est donné à l’entourage de Noël Bellemare (ancien numéro d’inventaire des musées nationaux : INV. 1985 ; transfert de propriété à la Ville de Nancy en 2008).. Ce tableau ainsi que deux autres représentant Jésus au jardin des Oliviers1212. Jésus au jardin des Oliviers, alors donné à Beccafumi, est aujourd’hui classé parmi les anonymes italiens du xvie siècle. Huile sur cuivre. H. 1,10 m ; L. 0,80 m. Paris, musée du Louvre, INV. 391. (fig. 3) et Le Mariage de la Vierge1313. Le Mariage de la Vierge alors donné à Rizzo da Santacroce est aujourd’hui attribué à Jan II Van Coninxloo (actif entre 1514 et 1546). Huile sur bois. H. 0,81 m ; L. 0,65 m. Paris, musée du Louvre, INV. 1984. proviennent de la collection du chevalier Lespinasse de Langeac (1748-1842) achetée peu avant par la Couronne1414. Collection de 24 tableaux acquise 20 000 F en 1822 par la Couronne dans le but notamment de répondre aux sollicitations de la Maison du Roi en matière de décor des résidences des souverains. Voir Hélène Sécherre, « Le marché des tableaux italiens à Paris sous la Restauration (1815-1830) : collectionneurs, marchands, spéculateurs » dans Monica Preti-Hamard et Philippe Sénéchal (dir.), Collections et marché de l’art en France 1789-1748, Rennes, Presses universitaires, Paris : INHA, 2005, p. 169 et 179-180.. De cet ensemble, trois tableaux italiens font encore partie des collections du château : La Madone de l’Amour divin d’après Raphaël qui était alors placé « à droite, en bas sous la tribune du roi » ; Le Repas chez Simon, copie du tableau de Véronèse, était lui au-dessus du maître-autel ; La Vierge à l’Enfant adoré par des anges se trouvait également sous la Tribune. Le tableau d’Henri de Favane (1668-1752), Saint Jean prêchant dans le désert quitte, lui, Compiègne en 18721515. Musée du Louvre, département des Peintures, INV. 8135. https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/joconde/000PE001135. Quatre autres tableaux, dont les trois de la collection Lespinasse de Langeac, repartent dès juillet 18341616. Les Couches de la Vierge alors attribué à Cranach ; Martyre de saint Laurent d’après Lesueur et Jésus au jardin des Oliviers alors donné à Beccafumi..
En 1825, on ajoute à cet ensemble La Vierge, l’Enfant Jésus et le petit saint Jean alors donné à Charles Delafosse. En 1827, le gouverneur de la résidence, le duc de Maillé, juge que « la chapelle a réellement besoin d’être plus ornée en tableaux qu’elle ne l’est. » Le concierge Bouchard requiert alors du musée du Louvre l’envoi de trois nouveaux tableaux en précisant les dimensions disponibles1717. A.N., archives des musées nationaux, P12, fo 57 à 59 (ancienne côte).. La demande semble toutefois être demeurée sans suite.
Lorsqu’en août 1832 est célébré dans la chapelle le mariage de la fille aînée du roi Louis-Philippe, Louise, avec le premier roi des Belges Léopold, l’accrochage a peu évolué. Les nombreux tableaux envoyés par le Louvre en juillet 1832 en vue de la cérémonie sont avant tout destinés au décor des appartements royaux et de la cour. Le grand tableau commandé à Joseph Désiré Court pour commémorer l’événement représente bien trois peintures dans leur cadre mais sans souci de vérité archéologique1818. L’esquisse préparatoire conservée au musée du Petit Palais à Paris (INV. PDUT01714) présente, elle, un mur orné de quatre tableaux disposés différemment..
C’est à la suite de la célébration de cet événement familial et politique que Louis-Philippe entreprend dans la chapelle plusieurs campagnes de travaux lui donnant sa physionomie actuelle. L’investissement personnel du roi dans le suivi de ces chantiers traduit autant le goût du souverain pour l’architecture qu’une forme de piété liée aux souvenirs dynastiques. Outre l’installation d’un système de chauffage par calorifère entraînant une modification du sol, un premier chantier au cours des années 1833-1834 transforme les quatre piles supportant les trois tribunes hautes en colonnes ornées de bases et de chapiteaux. Un décor sculpté sous le plafond à caissons est également créé sur tout le pourtour de la chapelle. L’année suivante, l’autel est rehaussé, la croisée qui le surmonte agrandie ainsi que les portes ouvrant sur la galerie des Colonnes. Témoignage de la piété de la famille royale, un confessionnal est aussi créé dans l’embrasure d’une ancienne porte au rez-de-chaussée. Commandé dès 1833, un vitrail, réalisé par les ateliers de la manufacture de Sèvres sous la direction de Jules Ziegler (1804-1856) et représentant Dieu le Père surmontant deux allégories de l’Église et de la Foi, est placé dans la croisée au-dessus de l’autel. Celle-ci est encadrée de quatre fenêtres percées en 1841 et ornées de vitraux en grisaille. Deux nouvelles ouvertures sont créées en 1847 au-dessus des premières. Afin de loger sa grande famille, Louis-Philippe souhaite agrandir la tribune royale en la réunissant aux deux petites latérales initialement réservées au chœur et aux musiciens. Concession à la modernité architecturale, deux fines colonnes en fonte viennent supporter les nouvelles constructions. La balustrade imaginée dans le même matériau ne sera jamais mise en place en raison des événements politiques et de la chute de la monarchie de Juillet l’année suivante.
Les travaux de ce règne sont l’occasion de renouveler en profondeur l’accrochage des tableaux. Seules trois œuvres sont conservées de l’ancienne présentation1919. La Vierge, l’Enfant Jésus et saint Jean ; Le Repas chez Simon et La Madone de l’Amour divin.. Parmi les nombreux tableaux envoyés par le musée du Louvre en juillet 1834, huit sont destinés à la chapelle. Six d’entre eux étaient alors réputés appartenir à l’école italienne2020. L’Adoration des Bergers alors donné à l’entourage de Parmesan est aujourd’hui attribué à Friedrich Sustris et Saint Barthélemy considéré longtemps comme un tableau de Lanfranco est aujourd’hui donné à Charles Mellin.. Les deux autres relèvent de l’école française : Jésus portant sa croix peint par Ducis d’après une composition de Lesueur et La Vierge de Delorme qui a la particularité d’être l’unique œuvre contemporaine de cet ensemble. En 1836, l’envoi du tableau attribué à Dal Sole, La Madeleine pénitente, accentue cette veine italianisante. En privilégiant ainsi des œuvres appartenant aux courants maniériste et baroque, une esthétique nouvelle est clairement donnée au décor du sanctuaire. Cette nouvelle orientation ne sera ensuite pas remise en cause, les tableaux demeurant dans les lieux jusqu’à la fin du Second Empire.
Un registre de 67 plans nous renseigne sur l’accrochage des tableaux dans les principales pièces du château de Compiègne pendant la monarchie de Juillet2121. A.N., archives des musées nationaux, 31 DD 06 (ancienne côte).. Par recoupement, celui de la chapelle (fig. 5) peut être daté de la fin des années 18302222. Ce plan a été dessiné entre 1836, date de l’arrivée à Compiègne du tableau de Dal Sole qui y figure et 1841, date de la construction des croisées supplémentaires sur le mur du maître-autel pas encore représentées.. Il permet de connaître les emplacements précis de chacun des treize tableaux présentés dans les lieux2323. Tous sont aujourd’hui identifiés. Douze sont toujours conservés au château de Compiègne.. Ainsi, les deux grandes toiles italiennes, déjà rassemblées dans l’appartement du pape à Fontainebleau au début du siècle, se font désormais face sur les murs latéraux de la chapelle : Le Martyre de sainte Victoire de Burrini et Le Repos de la Sainte Famille de Castello. Elles sont surmontées au niveau de la tribune de deux représentations de saints : Saint Antoine ermite alors considéré comme une représentation de saint Jérôme et Saint Barthélemy. La lecture des différents catalogues des peintures placées dans les appartements du palais de Compiègne (1841, 1846 et 1847) confirme que cette disposition n’a pas été modifiée jusqu’à la fin du régime. Ces notices reprennent en effet l’ordre du plan en partant de la gauche depuis la porte d’entrée.
C’est en 1850 que de premières modifications sont apportées. La chapelle s’enrichit de cinq tableaux religieux jusque-là conservés dans les appartements de la résidence. Le petit tableau de dévotion de Biscaino y revient furtivement cette année-là. Le Christ mis en croix par Poilly, La Bataille de Constantin contre Maxence d’après Raphaël et le grand format de Romanelli Moïse sauvé des eaux sont appelés à y demeurer plus longuement. Il en est de même pour la copie ancienne du tableau de Sebastiano del Piombo représentant La Visitation. En 1856, ce sont deux autres tableaux des appartements qui rejoignent définitivement la chapelle : Sainte Geneviève par Guérin et la Lutte de Jacob avec l’ange de Scarsellino2424. Inventaire des peintures comprises dans la dotation mobilière de la Couronne […] Palais de Compiègne, A.N., archives des musées nationaux, 31 DD 03 (ancienne côte), fo 1 et 2.. Soustraire ces tableaux des appartements pour les cantonner à la sphère religieuse de la chapelle est sans doute révélateur d’un souci de renouveler les décors des appartements par des œuvres plus contemporaines mais aussi de l’effacement progressif d’une piété de bon aloi particulièrement en cours sous la monarchie de Juillet. Seule La Madone de l’Amour divin est décrochée des cimaises de la chapelle pour orner la chambre à coucher de l’appartement B(2)2525. Ibid., fo 13..
Parmi les nombreux envois du Second Empire, un seul tableau est destiné à la chapelle : en 1856, le Louvre dépose Sainte Catherine entre deux anges d’après Luini. La présence au total de six nouveaux tableaux conduit à un accrochage plus dense mettant des tableaux d’origine, de format et de style plus variés à touche-touche selon un mode alors très apprécié. Les œuvres de la Renaissance plus nombreuses qu’auparavant permettent de créer une continuité esthétique entre la chapelle et les autres pièces de la demeure décorées dans ce style historicisant : le salon antichapelle, la galerie des Revues ou encore la galerie des Cerfs.
À la chute du régime, l’accrochage est profondément bouleversé. Les nombreuses allées et venues de tableaux entre Compiègne et Paris ne permettent plus une présentation cohérente, même si le caractère religieux des lieux restera une ligne directrice dans le choix des tableaux à présenter. Dernier état historique connu, l’accrochage du Second Empire est privilégié au sortir de la Seconde Guerre mondiale lorsqu’il s’est agi de restituer, au sein du désormais musée national, les décors de la résidence selon les principes rigoureux édictés par Pierre Verlet et mis localement en application par Jean Vergnet-Ruiz puis Max Terrier2626. Pour une présentation des restitutions des appartements historiques de Compiègne, voir notamment Emmanuel Starcky, Compiègne royal et impérial, le palais de Compiègne et son domaine, RMN : Paris, 2011, p.163-165.. C’est cet état qui est toujours visible aujourd’hui2727. Sur les 19 tableaux recensés dans la chapelle sous le Second Empire, 18 sont aujourd’hui conservés à Compiègne..