Jacques Kuhnmunch, Laure Chabanne & Étienne Guibert
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Napoléon III à la bataille de Solférino, le 24 juin 1859
Ernest Meissonier (Lyon, 1815 – Paris, 1891)

Illustration de comparaison
Ernest Meissonier, Napoléon III à Solférino, étude dessinée d’ensemble, lavis d’encre de Chine, château de Compiègne, C.2016-011.
Inscription

S.D.b.g. : EMeissonier 1863 (E retourné et accolé au M )

Historique

Acquis par l’État pour le musée du Luxembourg sur les crédits des années 1849, 1856, 1859 pour un total de 50 000 francs en même temps que L’Empereur entouré de son état-major. Livré en 1864. Musée du Luxembourg. Inscrit sur l’Inventaire des Peintures en octobre 1868 comme don de l’Empereur. Transféré au Louvre le 8 janvier 1903. Dépôt du département des Peintures du musée du Louvre en 1953, régularisé en 1957 (arrêté du 30 janvier 1957). Retour au Louvre le 16 mars 1960. Dépôt du département des Peintures en 1986. Entré au château de Compiègne le 7 août 1986. Arrêté du 12 août 1986. Affecté au musée d’Orsay.

Commentaire

En mai 1849, l’administration des Beaux-Arts voulut profiter de la baisse du marché de l’art occasionnée par les événements politiques pour acquérir une œuvre de Meissonier, artiste fort coté et avidement recherché par les collectionneurs. Charles Blanc, directeur des Beaux-Arts, lui passa commande d’un tableau pour la somme importante de 4 000 francs, le sujet exact devant être fixé ultérieurement. Il fut approuvé en fin d’année (il devait s’agir d’une Lecture) tandis que le peintre renégociait le prix à son avantage. À la faveur de l’amélioration de la situation économique, il le fit monter jusqu’à 20 000 francs en 1856 sans pour autant livrer le tableau promis. En mai 1859, la commande fut curieusement réorientée vers l’exécution de deux peintures représentant « des épisodes de la campagne d’Italie » et dont chacune devait lui valoir une rétribution de 25 000 francs. La France venait en effet de s’engager en Italie du Nord aux côtés des Piémontais face à l’Autriche et Napoléon III s’apprêtait à partir prendre le commandement des troupes. Cette décision fut vraisemblablement prise à l’initiative de Meissonier qui se rêvait depuis ses débuts peintre d’histoire. Le fruit de cette commande étant destiné à figurer un jour sur les cimaises du Louvre ou de quelque bâtiment officiel, il n’est pas étonnant qu’il ait voulu passer à la postérité en traitant un sujet d’importance.
Comme l’a souligné Constance Cain Hungerford dans l’étude détaillée qu’elle a consacrée en 1993 au tableau, l’artiste n’était pas du tout préparé à cet exercice. Il n’avait pas conscience du spectacle de violence et de désolation qu’offre un champ de bataille. Habitué à faire poser longuement des modèles en atelier, il n’avait pas l’habitude de travailler dans le vif de l’action et d’exécuter des croquis. Le 24 juin, il assista à la bataille décisive de Solférino avec son confrère Adolphe Yvon. Il suivit l’empereur parmi les membres de l’état-major mais ne put prendre aucune note : il était parti ce jour-là sans matériel ! La signature du traité de Villafranca dès le 11 juillet le renvoya rapidement dans ses foyers.
L’élaboration du tableau fut lente. Pour établir sa composition, Meissonier s’appuya sur les lettres qu’il avait envoyées du front à sa femme. Selon Ph. Burty, il fit poser l’un des officiers présents, qui lui en amena un autre, et, de proche en proche, il portraitura tout l’état-major. Comme il demandait une séance de pose à Napoléon III, l’empereur lui proposa de l’accompagner dans une promenade à cheval en forêt de Fontainebleau. Meissonier entraîna alors le souverain chez son ami Jadin, peintre de la Vénerie, afin de pouvoir le dessiner à son aise11. Meissonier n’était pas particulièrement proche du couple impérial. Sur ses relations avec la cour, voir Constance Cain Hungerford, « “Les choses importantes”. Meissonier et la peinture d’histoire », dans Ernest Meissonier. Rétrospective [cat. exp. Lyon, musée des Beaux-Arts, 25 mars – 27 juin 1993], Lyon, musée des Beaux-Arts / Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 162-176, p. 171, note 49. Il fut invité aux « séries » de Compiègne en 1861 et 1864 comme d’autres artistes chargés de commandes importantes. Stéphanie Tascher de la Pagerie rapporte qu’il aurait refusé en 1864 l’appartement qui lui était destiné, considérant qu’il n’était pas digne de lui (Stéphanie Tascher de la Pagerie, Mon séjour aux Tuileries… Deuxième série, 1859-1865, Paris, Paul Ollendorff, 1894 (4e éd.), p. 241, cité par Constance Cain Hungerford, « “Les choses importantes”. Meissonier et la peinture d’histoire », dans Ernest Meissonier. Rétrospective [cat. exp. Lyon, musée des Beaux-Arts, 25 mars – 27 juin 1993], Lyon, musée des Beaux-Arts / Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 162-176, p. 171, note 49.). Remarquons qu’à l’occasion de sa sortie à Fontainebleau avec l’empereur en 1860, il peignit également un portrait du Prince impérial à cheval dont il aurait donné, après la mort de celui-ci en 1879, une esquisse à l’impératrice Eugénie. Voir Octave Gréard, Jean-Louis-Ernest Meissonier. Ses souvenirs – ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 396.. Le peintre retourna également en 1860 sur les lieux de la bataille et fit des études de matériel d’artillerie et de soldats au camp permanent de Vincennes. Malgré tous les soins pris à documenter son tableau, il n’en était pas pleinement satisfait et le retravailla longuement. Théophile Gautier vit l’œuvre dans son atelier avant le Salon de 1861. Elle lui sembla parfaite mais Meissonier ne l’envoya pas à l’exposition. Elle fut annoncée à l’Exposition universelle de Londres en 1862, puis au Salon de 1863, mais ne parut qu’à celui de 1864.
Contrairement à Yvon lorsqu’il traita du même sujet (Versailles, musée national du château ; esquisse dans nos collections, MMPO 709), Meissonier ne chercha pas à valoriser l’héroïsme de l’empereur ou de ses officiers, ni à les montrer en meneurs d’hommes. Il ne voulut pas davantage glorifier le courage des troupes françaises au cœur de la mêlée. Selon O. Gréard, son tempérament s’y opposait : « Les grandes tueries répugnaient à ses sentiments comme à son art ; jamais il n’aurait peint le massacre d’Eylau. C’est dans la pensée qui la dirige, dans le courage qui la sert et qui l’honore, qu’il cherche l’expression de la guerre. Il en élève, il en humanise l’idée. Au pied de la colline, une batterie à demi-brisée, une autre qui s’élance ; sur la pente, quelques morts couchés dans les herbes ; au sommet, la redoute de Solférino ; çà et là des flocons de fumée indiquant la marche emportée des chasseurs qui prennent le cimetière et des voltigeurs qui s’emparent de la montagne des Cyprès ; en face du mamelon, sur une éminence, Napoléon III, entouré de son état-major, qui suit l’héroïque assaut : tel est, dans son intention voulue, le tableau qui ne conserve de l’appareil sanglant de la lutte que ce qui était indispensable pour indiquer le combat22. Octave Gréard, Jean-Louis-Ernest Meissonier. Ses souvenirs – ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 41-42.. » Il faut aussi et surtout compter avec la soif de vérité de Meissonier. Constance Cain Hungerford a souligné combien ses méthodes de travail avaient pesé dans le parti adopté. Le tableau trahit également l’impression plus ou moins consciente que retira l’artiste de cette journée. Il décrivit cette bataille telle qu’il l’avait vue et vécue, se représentant à cheval (à l’extrémité gauche du tableau) parmi les aides de camp groupés autour de Napoléon III. Or, l’une des choses qui l’avaient vivement frappé était l’incertitude où se trouva l’état-major toute la journée et jusqu’au soir quant à l’issue du combat, ce qui l’empêcha selon lui de prendre certaines décisions stratégiques33. « Souvent une victoire n’est découverte qu’après la bataille, sans qu’au moment même on en ait le moins du monde l’impression triomphante. J’ai pu le voir à Solférino, où je n’ai pas quitté le groupe de l’Empereur. / À la fin de la journée, vers huit heures du soir, quand les Autrichiens en déroute fuyaient dans le lointain, l’Empereur, que nous suivions, monta la colline pour gagner une redoute bondée de morts. […] On était alors si peu conscient du résultat que, l’Empereur interrogeant son état-major sur la canonnade qui grondait encore au loin, nul ne put lui répondre. » Propos cités par Octave Gréard, Jean-Louis-Ernest Meissonier. Ses souvenirs – ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 260. Il faut cependant souligner que ces propos datent vraisemblablement d’après la défaite de 1870. Il n’est pas sûr que le peintre ait eu pleinement conscience des faiblesses de l’armée française dès 1859.. Tel est vraisemblablement le sens profond de cette œuvre : tous observent pour ainsi dire en spectateurs le combat qui se déroule au loin devant eux, sans en connaître exactement l’évolution.
Au Salon de 1864, la critique ne comprit pas cette composition qui rompait volontairement avec les représentations traditionnelles de la guerre44. Voir aussi la notice du Dragon à cheval tenant un pistolet (R.F. 1868) sur la manière nouvelle dont Meissonier voulut représenter la vie militaire après son expérience sur le terrain.. Elle reprocha au peintre le manque d’engagement dans l’action. Les dimensions modestes du tableau (pourtant importantes pour une œuvre de Meissonier) furent également moquées, l’artiste étant renvoyé à sa réputation de peintre du roi de Lilliput : « On ne peint pas au microscope trois nations aux prises comme il s’agissait d’observer des infusoires se battant dans une goutte d’eau. » (Paul de Saint-Victor) Le gigantisme de la toile d’Yvon (neuf mètres de largeur par six mètres de hauteur) semblait mieux à même de traduire la réalité d’une bataille qui fut l’une des plus importantes de la campagne d’Italie avec l’engagement de 260 000 hommes et de 800 canons et des pertes énormes de part et d’autre. Cependant, par son parti original de réalisme, Napoléon III à la bataille de Solférino posa les fondements de la « peinture militaire », genre nouveau qui supplanta la peinture de batailles traditionnelle et s’imposa après la guerre de 1870, porté par un disciple de Meissonier, Édouard Detaille, et par Alphonse de Neuville. Présenté en même temps que 1814, la campagne de France (Paris, musée d’Orsay), ce tableau marqua également le début d’une nouvelle phase de la carrière de l’artiste qui consacra désormais une grande partie de son activité à l’évocation de la vie militaire et des batailles du Premier Empire.
Notons que Degas, qui critiquait Meissonier tout en admirant sa connaissance des chevaux, copia différents éléments du Solférino au musée du Luxembourg entre 1867 et 1869. Pour l’un des jockeys de son tableau Le Défilé (vers 1866-1868, Paris, musée d’Orsay), il s’inspira directement d’un dessin qu’il avait fait de la figure du général Frossard, de dos au premier plan55. Paris, Bibliothèque nationale, Dc 327d réserve, carnet 8, p. 123. Voir la publication des carnets de Degas par Theodore Reff en 1985 (ce carnet porte le numéro 22 dans son étude) et l’article publié par Henri Loyrette en 2018, cat. 37, p. 153., inversant le sens du cavalier et de sa monture.
Le château de Compiègne a pu faire l’acquisition en 2016 d’une remarquable étude dessinée par Meissonier pour Napoléon III à Solférino (précédemment dans la collection Christopher Forbes).

Auteur du commentaire : Laure Chabanne

1. Meissonier n’était pas particulièrement proche du couple impérial. Sur ses relations avec la cour, voir Constance Cain Hungerford, « “Les choses importantes”. Meissonier et la peinture d’histoire », dans Ernest Meissonier. Rétrospective [cat. exp. Lyon, musée des Beaux-Arts, 25 mars – 27 juin 1993], Lyon, musée des Beaux-Arts / Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 162-176, p. 171, note 49. Il fut invité aux « séries » de Compiègne en 1861 et 1864 comme d’autres artistes chargés de commandes importantes. Stéphanie Tascher de la Pagerie rapporte qu’il aurait refusé en 1864 l’appartement qui lui était destiné, considérant qu’il n’était pas digne de lui (Stéphanie Tascher de la Pagerie, Mon séjour aux Tuileries… Deuxième série, 1859-1865, Paris, Paul Ollendorff, 1894 (4e éd.), p. 241, cité par Constance Cain Hungerford, « “Les choses importantes”. Meissonier et la peinture d’histoire », dans Ernest Meissonier. Rétrospective [cat. exp. Lyon, musée des Beaux-Arts, 25 mars – 27 juin 1993], Lyon, musée des Beaux-Arts / Paris, Réunion des musées nationaux, 1993, p. 162-176, p. 171, note 49.). Remarquons qu’à l’occasion de sa sortie à Fontainebleau avec l’empereur en 1860, il peignit également un portrait du Prince impérial à cheval dont il aurait donné, après la mort de celui-ci en 1879, une esquisse à l’impératrice Eugénie. Voir Octave Gréard, Jean-Louis-Ernest Meissonier. Ses souvenirs – ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 396.
2. Octave Gréard, Jean-Louis-Ernest Meissonier. Ses souvenirs – ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 41-42.
3. « Souvent une victoire n’est découverte qu’après la bataille, sans qu’au moment même on en ait le moins du monde l’impression triomphante. J’ai pu le voir à Solférino, où je n’ai pas quitté le groupe de l’Empereur. / À la fin de la journée, vers huit heures du soir, quand les Autrichiens en déroute fuyaient dans le lointain, l’Empereur, que nous suivions, monta la colline pour gagner une redoute bondée de morts. […] On était alors si peu conscient du résultat que, l’Empereur interrogeant son état-major sur la canonnade qui grondait encore au loin, nul ne put lui répondre. » Propos cités par Octave Gréard, Jean-Louis-Ernest Meissonier. Ses souvenirs – ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 260. Il faut cependant souligner que ces propos datent vraisemblablement d’après la défaite de 1870. Il n’est pas sûr que le peintre ait eu pleinement conscience des faiblesses de l’armée française dès 1859.
4. Voir aussi la notice du Dragon à cheval tenant un pistolet (R.F. 1868) sur la manière nouvelle dont Meissonier voulut représenter la vie militaire après son expérience sur le terrain.
5. Paris, Bibliothèque nationale, Dc 327d réserve, carnet 8, p. 123. Voir la publication des carnets de Degas par Theodore Reff en 1985 (ce carnet porte le numéro 22 dans son étude) et l’article publié par Henri Loyrette en 2018, cat. 37, p. 153.
Bibliographie
Expositions
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Copyrights

Étapes de publication :
2020-06-15, publication initiale de la notice rédigée par Laure Chabanne

Pour citer cet article :
Laure Chabanne, Napoléon III à la bataille de Solférino, le 24 juin 1859, dans Catalogue des peintures du château de Compiègne, mis en ligne le 2020-06-15
https://www.compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=529

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