Le Roi de l’Époque

Thomas Couture (Senlis, 1815 – Villiers-le-Bel, 1879)

Cette toile inachevée témoigne du regard acéré que Thomas Couture portait sur la société de son temps. La pose du personnage, les mains sur les cuisses, est inspirée du Portrait de Bertin d’Ingres (1832, Paris, musée du Louvre), célébré dès le xix^e siècle comme l’icône de la bourgeoisie triomphante. Couture, qui appréciait peu l’art de son confrère, le tourne ici en ridicule. L’attitude énergique de Bertin devient celle du parvenu riche, stupide et bouffi d’orgueil comme l’indiquent ses principaux attributs : le sac d’or sur lequel il est assis, le dindon à ses côtés et le grand cordon de la Légion d’honneur barrant sa poitrine dénudée. Sur sa tête pointent des oreilles d’âne sous une couronne de feuilles de vigne. Ainsi tient-il tout à la fois de Midas et de Silène. Dans un tableau de Couture datant de 1874, La Courtisane moderne (Philadelphie, Philadelphia Museum of Art), on retrouve ce personnage soumis au joug d’une demi-mondaine. Attelé à la voiture de celle-ci, à l’instar de trois autres figures masculines personnifiant la jeunesse, le courage et la poésie, il incarne la richesse. Dans cette composition comme dans Le Roi de l’Époque, l’artiste dévoile sans ménagement son corps trop grassement nourri et déjà vieillissant, soulignant son caractère grotesque. Le roi est nu.
Comme l’a souligné Albert Boime dans l’analyse approfondie qu’il a consacrée au Roi de l’époque, cette composition s’attaquait vraisemblablement à la bourgeoisie juive. En effet, son titre fait écho à celui d’un pamphlet d’Alphonse Toussenel, Les Juifs, rois de l’époque ; histoire de la féodalité financière (1845). Couture avait eu l’occasion de rencontrer Toussenel par l’intermédiaire de Jules Michelet dont celui-ci était le secrétaire, et professait ouvertement des opinions antisémites.
L’agressivité déployée dans ce tableau déplut à la critique lorsqu’il fut présenté pour la première fois en 1880 à l’exposition posthume des œuvres de l’artiste. Elle déplora la lourdeur de l’allégorie et son inachèvement sur le plan pictural.
Une étude dessinée pour Le Roi de l’Époque (C.71.283) est conservée dans les collections du château de Compiègne. Une autre, plus proche de la composition définitive, se trouve dans celles du musée Magnin à Dijon. La collection Karen B. Cohen (New York) comporte une petite esquisse peinte de notre tableau¹Fermer1. Colta Ives, Romanticism and the School of Nature. Ninetheenth century European drawings and oil sketches from the Collection of Karen B. Cohen, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2000, n^o 83, p. 170, repr. p. 171., ainsi qu’une étude dessinée pour le dindon²Fermer2. Colta Ives, Romanticism and the School of Nature. Ninetheenth century European drawings and oil sketches from the Collection of Karen B. Cohen, New York, The Metropolitan Museum of Art, 2000, n^o 84, p. 172, repr. p. 173.. Une étude à l’huile pour la tête du roi est par ailleurs conservée au musée des Beaux-Arts de Bordeaux.
Une allégorie de la noblesse, également demeurée inachevée (Senlis, musée d’Art et d’Archéologie), devait faire pendant à ce portrait-charge de la bourgeoisie. Elle met en scène une figure féminine qui, dans la première pensée de l’artiste, était accompagnée d’un paon (voir C.64.032).

Auteur du commentaire : Laure Chabanne