Jacques Kuhnmunch, Laure Chabanne & Étienne Guibert
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Un chant passionné dit aussi Une Prima Donna
Alfred Émile Léopold Stevens (Bruxelles, 1823 – Paris, 1906)

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S.b.g. : AStevens (A et S entrelacés)

Historique

Van der Donckt frères, marchands de l’artiste à Paris et à Bruxelles, en 1873 et 1878 (?). Acquis auprès de l’artiste par la direction des Beaux-Arts en 1890 pour la somme de 12 000 francs (arrêté du 28 février 1890). Entré au musée du Luxembourg le 14 mars 1890. Attribué au musée du Louvre. Au musée du Louvre, galerie du Jeu de Paume. Dépôt du musée d’Art moderne en 1964. Arrêté du 27 mai 1963. Entré au château de Compiègne le 11 mai 1964. Affecté au musée d’Orsay

Commentaire

Peint au début des années 1870, ce tableau pourrait être celui qui fut présenté à l’Exposition universelle de 1873 sous le titre Une prima donna, ainsi que l’a suggéré D. Derrey-Capron. La datation de la composition est corroborée par l’existence d’une lettre de l’artiste à son frère Arthur, datée du 2 janvier 1873, et signalée par W. A. Coles, où Alfred Stevens faisait mention d’un nouveau tableau figurant une femme en train de chanter et soulignait la difficulté d’un tel sujet.
L’intitulé Une prima donna, s’il s’applique bien ici, tend à indiquer que la chanteuse est une professionnelle, mais ce titre pourrait être teinté d’ironie. Cette demoiselle semble plutôt s’adonner au chant en amateur, comme il était de bon ton de le faire dans les familles bourgeoises. D’autres tableaux, tels que Une musicienne (vers 1870, Budapest, Szépművészeti Múzeum) ou La Violoniste (vers 1880-1885, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique), témoignent de l’intérêt de l’artiste pour ces pratiques associées à l’image de la femme de qualité. Stevens nous convie en tout cas à une répétition ou à une leçon plutôt qu’à une prestation en soirée dans le cadre d’un salon mondain. La lumière du jour filtre à travers les rideaux tirés, rayant le miroir à l’arrière-plan. La chanteuse tient sa partition à la main. Elle est accompagnée au piano par une autre musicienne dont on aperçoit seulement quelques volants de tissu jaune. Appuyée sur l’instrument, les yeux levés au ciel, elle s’abandonne à l’émotion de la musique, moderne sainte Cécile.
La ferveur de cette jeune femme tranche avec la réserve habituellement donnée par l’artiste à ses figures. Pour l’exprimer, Stevens semble s’être ici souvenu des tableaux religieux du xviie siècle italien, notamment du Guide. Cet effort inspira au critique Ch. Tardieu des lignes acerbes : « Quand M. Stevens veut aller au-delà, il pince de vieilles guitares dont la sentimentalité frise le ridicule. Telle cette Romance passionnée qui sonnait faux dans son exposition, musique démodée, déclamation surannée, cantatrice d’un autre âge ; tout cela date pour le moins de 1835 ; on ne chante plus ainsi, même dans les salons de la petite bourgeoisie, et l’on a peine à concevoir qu’un peintre aussi actuel que M. Stevens s’inspire d’une littérature musicale complètement fanée. » Quelques années plus tard, C. Lemonnier y vit pourtant la description d’une « crise d’hystérie précise comme une thèse » (1881), tandis qu’André Fontaine croyait percevoir « un secret dans cette âme, une passion heureuse ou malheureuse, heureuse peut-être et malheureuse à la fois, un mystère d’humanité qui nous trouble et nous enveloppe » (1925). Comme toujours chez Stevens, la dimension psychologique du tableau ne passe pas seulement par l’attitude du corps et par les traits du visage. La construction de l’espace, l’effet de clair-obscur et le traitement du décor y contribuent également. Le miroitement des matières (soieries, dorures, bois vernis et cirés) compose une partition subtile autour de la chanteuse et de la grande glace dans laquelle se reflète la scène11. W. A. Coles a fait remarquer que Stevens a employé certains des accessoires dans d’autres compositions, notamment le miroir, le lustre et le vase dans Le Salon du peintre (1880, collection privée).. L’éclat discret d’un lustre à pampilles de cristal fait écho à celui d’un patin de verre posé sous la roulette du piano. Comme dans Rentrée du monde (voir LUX. 336), Stevens nous introduit dans les coulisses des rituels de la haute société de son temps.
J. Isaacson a rapproché la figure de la chanteuse avec son profil perdu dans le miroir et celle de la serveuse et de son reflet dans Un bar aux Folies-Bergère (1881-1882, Londres, Courtauld Institute) d’Édouard Manet. Il a émis l’hypothèse que Manet avait pu voir le tableau de Stevens dans l’atelier de son ami et s’en était inspiré. Si les deux compositions présentent effectivement une similarité frappante, Manet a placé sa serveuse de face, ce qui crée, comme l’a remarqué Isaacson, une forte distorsion entre celle-ci et son image. Chez Stevens, le jeu des reflets, doublé par la présence d’une seconde glace accrochée sur le mur opposé, contribue à créer une dynamique du regard au sein de la toile, lui conférant profondeur et mystère. L’artiste affectionnait ces effets de composition. Il introduisit souvent des miroirs dans ses œuvres des années 1870-1880, telle La Parisienne japonaise (vers 1872, Liège, musée des Beaux-Arts). Robert de Montesquiou a pu écrire qu’ils furent pour son pinceau une « carrière rêveuse et profonde22. Montesquiou, 1900, p. 106. ». Chez Manet, en revanche, la présence du miroir contribue à aplatir l’espace et à le rabattre dans le plan du tableau.
Une autre version sur le même sujet a été exposée en 1928 à Bruxelles (Alfred et Joseph Stevens, Bruxelles, musée d’Art moderne, 24 novembre – 10 décembre 1928, no 56 ; appartenait à la collection Léon Samuel à Bruxelles).

Auteur du commentaire : Laure Chabanne

1. W. A. Coles a fait remarquer que Stevens a employé certains des accessoires dans d’autres compositions, notamment le miroir, le lustre et le vase dans Le Salon du peintre (1880, collection privée).
2. Montesquiou, 1900, p. 106.
Bibliographie
Expositions
Index

Genre :
Scènes de genre
Peinture d’intérieur

Index iconographique :
Femme ; intérieur ; miroir ; piano ; robe

Œuvre en rapport dans la collection
Copyrights

Étapes de publication :
2020-06-15, publication initiale de la notice rédigée par Laure Chabanne

Pour citer cet article :
Laure Chabanne, Un chant passionné dit aussi Une Prima Donna, dans Catalogue des peintures du château de Compiègne, mis en ligne le 2020-06-15
https://www.compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=596

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