La Princesse Mathilde
Paul Albert Besnard (Paris, 1849 – Paris, 1934)
La Princesse Mathilde
Paul Albert Besnard (Paris, 1849 – Paris, 1934)
1883
Huile sur toile
H. 1,30 ; L. 0,97 m
INV. 12654 / 1932
S.h.d. : Besnard
Acquis de l’artiste le 6 juin 1932 pour la somme de 40 000 francs. Dépôt au ministère des Finances le 11 décembre 1936. Restitué au Mobilier national le 20 juillet 1989. Envoi au château de Compiègne le 6 septembre 1989. Dépôt du CNAP.
Après la chute du Second Empire, la princesse Mathilde passa quelques mois en exil en Belgique, puis elle revint à Paris. Son hôtel particulier de la rue de Courcelles ayant été saisi puis vendu, elle s’installa non loin de là, rue de Berri, dans l’ancien hôtel de la duchesse de Lesparre. Elle y reprit ses réceptions, attirant de nouveau chez elle la fine fleur du milieu artistique et littéraire parisien, dont Marcel Proust à la fin du siècle. Ce portrait peint en 1883 par Paul Albert Besnard nous la montre lors d’une de ces soirées mondaines. Vêtue d’une toilette du soir blanche, parée des perles dont elle raffolait, elle se tourne vers ses invités avec la vivacité qui la caractérisait. On reconnaît le second salon de l’hôtel de Lesparre où elle avait l’habitude de s’asseoir pour les accueillir, avec son canapé tendu de damas cramoisi, sa table ronde chargée de livres et de menus objets, et sa grande lampe montée sur un vase céladon. Ce portrait adopte le parti moderne défini par Duranty en 1876 dans La nouvelle peinture : il s’agit de délaisser les poses convenues et les décors d’apparat pour camper le modèle dans son environnement familier et dans ses activités quotidiennes. Le choix du cadrage n’en indique pas moins la distance sociale que la princesse maintient naturellement avec ses hôtes. Les livres posés au premier plan et l’abat-jour de la lampe forment une barrière visuelle entre elle et le spectateur. Pour ancrer le tableau dans la vie, le peintre emploie également une facture qui n’est pas sans rapport avec l’impressionnisme : la lumière chaude de la lampe modèle largement le visage et le corps, se répand en nappes sur la table et fait chanter les rouges profonds des soieries. Deux ans plus tard, Besnard devait pousser plus loin ses audaces chromatiques avec le Portrait de Madame Roger Jourdain (1885, Paris, musée d’Orsay), dont le masque vert et jaune traduit crûment les effets de l’éclairage au gaz.
En passant commande à Albert Besnard, la princesse Mathilde voulut vraisemblablement faire exécuter son ultime grand portrait, avant que la vieillesse n’emportât ses derniers restes de beauté. Eugène Giraud, son portraitiste favori et son ami fidèle, était mort peu avant. On ignore pourquoi elle jeta son dévolu sur Albert Besnard. Âgé d’une trentaine d’années, lauréat du prix de Rome, frais émoulu de la villa Médicis, il était encore à l’orée d’une carrière qui devait s’avérer fort brillante. La princesse s’étant toujours flattée de soutenir les nouveaux talents, il est loisible d’imaginer qu’elle voulut encourager ce jeune peintre prometteur. Un portrait en buste et au pastel daté de 1883 (Rome, museo napoleonico) se rattache à la même commande. Servit-il de banc d’essai ou bien fut-il offert par l’artiste à la princesse pour s’attirer ses bonnes grâces ? En tout cas, elle garda le pastel par-devers elle, tandis qu’elle ne fut pas satisfaite de la peinture. Ce que nous savons de son goût et de sa pratique artistique laisse à penser qu’elle fut rebutée par la facture de la toile. Peut-être jugea-t-elle aussi que la pose manquait de dignité ou que l’ensemble n’était pas assez flatteur.
Albert Besnard conserva le tableau. À la fin du siècle, il était accroché en bonne place dans son hôtel particulier où le critique Gustave Geffroy put le voir. Il lui inspira ces lignes admiratives : « Et tout à coup, en haut de l’escalier, j’ai aperçu un portrait vraiment magnifique, un de ces portraits assurés, tranquilles, qui vous font deviner une ressemblance profonde sans que vous ayez besoin de connaître, de voir le modèle. C’est un portrait de femme qui n’a pas été considéré comme achevé, et qui est resté chez le peintre. Il est très bien à cette place, car il représente tout l’art de l’artiste, aussi bien que d’autres toiles, connues et célèbres. La femme est assise auprès d’une table sur laquelle sont placés les objets familiers qu’elle manie tout en causant avec ses visiteurs. Car elle a des visiteurs, on devine autour d’elle, à son air un peu d’apparat, l’hommage empressé et habituel. S’il y a un rien de théâtral, ce théâtral est simple, imprégné de bonhomie. C’est une façon de vivre de tous les jours. Il ne s’agit pas d’une jeune femme dans l’éclat et l’assurance de sa beauté, et néanmoins, comme je l’ai dit, ce portrait est magnifique. » Selon G. Geffroy, la filiation de Besnard portraitiste avec les grands maîtres du genre, notamment les Anglais, éclatait dans cette œuvre. Après la mort de la princesse Mathilde, en 1904, le tableau fut exposé au salon de la Société des Artistes Français.
Auteur du commentaire : Laure Chabanne
Index des personnes représentées :
Mathilde, princesse Bonaparte (Trieste, 1820 – Paris, 1904)
Index iconographique :
Femme ; livre ; robe
Cette œuvre appartient à l’ensemble :
Les portraits des musées du Second Empire
Étapes de publication :
2020-06-15, publication initiale de la notice rédigée par Laure Chabanne
Pour citer cet article :
Laure Chabanne, La Princesse Mathilde, dans Catalogue des peintures du château de Compiègne, mis en ligne le 2020-06-15
https://www.compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=9