Madame Maurice Richard
Carolus-Duran (Lille, 1837 – Paris, 1917)
Madame Maurice Richard
Carolus-Duran (Lille, 1837 – Paris, 1917)
1870
Huile sur toile
H. 2,29 ; L. 1,62 m
C.2018.008
S.L.D.b.g. : Carolus Duran / Paris 1870
Mme Maurice Richard ; Henriette Richard, épouse Lefebvre ; Hélène Lefebvre, épouse Millin de Grandmaison ; Georges Millin de Grandmaison ; Mme Anne de Castries et M. François de Grandmaison. Don en 2018.
Cet imposant portrait en pied exécuté en 1870 marqua la rencontre de deux personnalités placées sous les feux de l’actualité à la fin du Second Empire. Fort du succès de la Dame au gant (Paris, musée d’Orsay) au Salon de 1869, puis du portrait de madame Ernest Feydeau (Lille, palais des Beaux-Arts) au Salon de 1870, Carolus-Duran était alors le nouveau portraitiste à la mode. Quant au modèle, il s’agit de l’épouse d’un homme politique particulièrement en vue. Maurice Richard (Paris, 1832 – Paris, 1888) figurait en effet parmi les ministres du gouvernement formé le 2 janvier 1870 sous la direction d’Émile Ollivier. Le portefeuille qui lui avait été attribué, celui des Beaux-Arts, était inédit. Rebaptisé en mai ministère des Lettres, des Sciences et des Beaux-Arts, il préfigurait le ministère de la Culture. Maurice Richard lança de nombreuses initiatives, mais la guerre franco-prussienne et la chute du Second Empire mirent rapidement fin à son action. Sous la Troisième République, il demeura proche du parti bonapartiste. Avocat de profession, Maurice Richard était issu du milieu des affaires. En 1870, il épousa en secondes noces Hélène Henriette Bouruet-Aubertot (1847-1899). Elle était l’héritière du magasin de nouveautés « Au Gagne-Petit », créé en 1844 rue des Moineaux et transféré en 1878 au 23 de l’avenue de l’Opéra. Il est possible que le tableau ait été commandé à l’occasion de leur mariage.
Carolus-Duran envoya ce portrait au Salon de 1872, en même temps que le Portrait de Madame de Sainctelette, dit aussi La Dame rousse (1871, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts). Présentées en pendant, les deux toiles furent l’une des sensations de l’exposition. Selon la critique, elles tuaient tous les autres tableaux accrochés autour d’elles. Madame de Sainctelette et madame Richard offraient un indéniable air de famille : visage empâté aux lèvres peintes, chevelure frisottée et ponctuée d’un nœud de ruban, corps replet aux chairs grasses, toilette luxueuse à la dernière mode. Carolus-Duran n’avait pas cherché à embellir ses modèles. On lui reprocha même de les avoir enlaidis... ou de les avoir mal choisis. Son habileté à rendre les soieries fut en revanche unanimement remarquée. Madame Richard était « divine d’étoffes » selon le mot d’une visiteuse rapporté par Barbey d’Aurevilly. Pour Castagnary, tout cela était bien vulgaire : « La femme semble un bœuf gras qu’on aurait endimanché et couvert de tous ses ornements. »
Selon la grille de lecture traditionnelle du portrait (beauté du visage et de la silhouette, élégance des manières, équilibre entre la figure et les accessoires), ces deux tableaux étaient très semblables. Ils revendiquaient haut et fort leur réalisme, ce qui leur valut l’admiration inconditionnelle d’Émile Zola. Toutefois, le portrait de madame de Sainctelette attira davantage l’attention. La flamboyance de sa chevelure, l’énergie de son regard et son allure de « lionne attentive » (Barbey d’Aurevilly) étaient soulignées par une gamme chromatique audacieuse qui suscita la controverse. Figurée de trois quarts, les bras ramenés contre la poitrine, madame Richard affichait un caractère plus placide. La critique loua la « symphonie en gris et roseb » de sa toilette et la lumière argentée qui baignait la toile. Cet accord subtil entre expression et coloris fit écrire à Victor Cherbuliez que Carolus-Duran était « le premier homme du monde dans l’art de mettre une femme en musique ». Selon Barbey d’Aurevilly, il pouvait faire bien mieux qu’« un Rubens de magasin, si sublime qu’il puisse paraître aux hanteuses du Bon marché et du Gagne-Petit ! » Faut-il voir là une pointe d’esprit à l’égard des origines de madame Richard ? En faisant appel à Carolus-Duran, avait-elle choisi un « peintre d’étoffes » ou un artiste moderne ? L’envoi de son portrait au Salon prouve en tout cas qu’elle en fut très satisfaite.
S’il parut presque timoré face à la tapageuse Dame rousse, ce tableau ne manque pas de panache sur le plan pictural. Les couleurs et les matières de la robe offrent un contraste puissant : satin gris et noir pour le corsage, la jupe et la traîne, velours noir doublé de satin rose pour les garnitures, larges volants de blonde. Le décor présente les attributs du confort bourgeois : tenture de damas gris vert à grands ramages, épais tapis d’Orient, jardinière et suspension bleu turquoise sorties des ateliers du faïencier Théodore Deck (Guebwiller, 1823 – Paris, 1891). La végétation qui s’épanouit derrière le modèle évoque le goût des élites parisiennes pour les serres et les jardins d’hiver, dernier cri du luxe urbain. Elle apporte aussi de l’animation et de la fraîcheur à la composition. Dans la main de madame Richard, le rouge éclatant d’un géranium fait chanter les multiples nuances de vert de ce fond. La facture des fleurs, plus enlevée que celle des étoffes et des chairs, rappelle l’amitié qui liait Carolus-Duran à Manet et à Fantin-Latour, et les plantes en pot peintes quelques années plus tôt par Monet et Renoir. Elle fait aussi écho à la liberté des bouquets dont Franz Xaver Winterhalter paraît ses modèles. Malgré ses accents réalistes, ce tableau s’inscrit dans la continuité du courant fashionable de l’art du portrait, où s’était illustré le maître allemand. Il témoigne de l’évolution du genre à la fin des années 1860 sous l’influence de l’art espagnol et de la nouvelle peinture naissante. Carolus-Duran fut d’ailleurs le maître de John Singer Sargent, l’un des derniers grands représentants de cette tradition.
Auteur du commentaire : Laure Chabanne
Index des personnes représentées :
Hélène Henriette Bouruet-Aubertot, madame Maurice Richard (1847-1899)
Index iconographique :
Femme ; robe
Cette œuvre appartient à l’ensemble :
Les portraits des musées du Second Empire
Étapes de publication :
2020-06-15, publication initiale de la notice rédigée par Laure Chabanne
Pour citer cet article :
Laure Chabanne, Madame Maurice Richard, dans Catalogue des peintures du château de Compiègne, mis en ligne le 2020-06-15
https://www.compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=665