Le Marchand de masques dit aussi Les Comédiens, anciennement Scène de théâtre

Jean-Léon Gérôme (Vesoul, 1824 – Paris, 1904)

Cléry ? Attribué au musée du Louvre par l’Office des biens et intérêts privés en 1951. Dépôt du département des Peintures du musée du Louvre en 1953. Entré au château de Compiègne le 19 juin 1953. Arrêté du 30 janvier 1957. Affecté au musée d’Orsay. En attente de sa restitution à ses légitimes propriétaires.

Ce tableau de petit format est une scène de genre située dans l’Antiquité, comme Gérôme les affectionnait. L’un des personnages, debout, tenant un masque tragique sur son visage, se regarde dans un miroir. Nonchalamment assis sur son siège, un jeune homme l’observe avec un air blasé, voire goguenard. Une badine à la main, il joue distraitement avec une patte de la peau de félin qui recouvre sa chaise. Au second plan, un homme plus âgé se tient derrière une grande table chargée de masques, penché en avant dans une attitude un peu servile. À l’arrière-plan, des étagères richement ornées regorgent de masques.
Cette esquisse se rattache à une composition aujourd’hui perdue intitulée Les Comédiens et présentée par l’artiste au Salon de 1863. Connu notamment par une épreuve photographique publiée sous ce titre par la maison Goupil, marchand et éditeur de Gérôme, dans la série « Galerie photographique » en 1865¹Fermer1. Un exemplaire à Bordeaux, musée Goupil ; voir Gérôme et Goupil, art et entreprise [cat. exp. Bordeaux, musée Goupil, 12 octobre 2000 – 14 janvier 2001 ; New York, Dahesh Museum of Art, 6 février – 5 mai 2001 ; Pittsburgh, The Frick Art and Historical Center, 7 juin – 12 août 2001], Paris, Réunion des musées nationaux, 2000, n^o 48, p. 104, repr. p. 102., ce tableau diffère très peu du nôtre dans son parti général. G. M. Ackerman a signalé qu’il était appelé Le Marchand de masques dans le registre de la maison Goupil²Fermer2. Ackerman 2000, n^o 141, p. 250., ce qui éclaire le sujet exact de la composition. Il a supposé que les personnages étaient des acteurs qui « s’amusent en coulisses à essayer des masques³Fermer3. Ackerman 2000, p. 64. ». Le second titre indique néanmoins que la scène se passe dans une boutique dont l’homme derrière la table est le propriétaire. Un comédien est venu faire l’acquisition d’un masque en compagnie d’un de ses confrères et amis. Le rapport entre ces deux protagonistes a pu être rapproché de celui du tableau Deux augures, une œuvre présentée au Salon de 1861 et où Gérôme illustrait la célèbre phrase de Cicéron : « Deux augures n’ont jamais pu se regarder sans rire. » De la même manière, le peintre relativise avec humour la solennité et la grandeur de la tragédie antique en montrant les acteurs dans leur vie quotidienne et en dévoilant les coulisses du spectacle. Dans ce contexte, l’expression outrée du masque tragique devient ridicule. Dans la composition finale, l’attitude du second comédien est plus ambigüe encore – il renverse la tête en arrière et l’on peut imaginer qu’il se moque du masque – tandis que l’importance accordée à la badine est encore accentuée : Gérôme badine allègrement avec la tradition.
Gérôme a dédicacé cette esquisse « à son ami Cléry ». Il s’agit probablement de Léon Cléry (1831-1904) qui entra comme lui dans la famille Goupil en épousant en 1866 Blanche Goupil, sœur de Marie Gérôme. Comme l’a suggéré R. Bigorne, en lui offrant cette scène représentant des comédiens, il a pu faire allusion à l’art oratoire déployé par Cléry, avocat réputé qui défendit notamment les intérêts de la maison Goupil.

Auteur du commentaire : Laure Chabanne