La Lecture
Thomas Couture (Senlis, 1815 – Villiers-le-Bel, 1879)
La Lecture
Thomas Couture (Senlis, 1815 – Villiers-le-Bel, 1879)
Vers 1860
Huile sur toile
H. 0,81 ; L. 0,65 m
C.53.032
M.b.d. : T.C.
Indivision Couture, état du 16 février 1884, à la suite du no 223 (« Femme lisant dans un jardin »). Berthe Couture, épouse Bertauts, fille de l’artiste. Georges Bertauts-Couture. Don en 1953. Comité du 30 avril 1953. Conseil du 7 mai 1953. Entré au château de Compiègne le 25 juin 1953.
Selon la tradition familiale, Couture aurait représenté dans ce tableau Marie-Héloïse Servent, son épouse depuis le 2 avril 1859, alors qu’elle était enceinte de leur premier enfant. La composition aurait donc été peinte quelques mois avant la naissance de Berthe Couture, le 5 novembre 1860. La jeune femme est représentée de dos et son état éventuel de grossesse peut être dissimulé par le châle drapé sur ses bras et sur sa jupe. Elle porte une robe de jour grise très simple et ses cheveux sont retenus par une résille. Plongée dans la lecture d’un ouvrage, elle chemine paisiblement dans un écrin de verdure. Une telle attitude devait plaire à Couture, car il traita de nouveau ce thème quelques années plus tard dans un petit tableau (voir C.71.004) et le déclina au masculin dans une autre composition, Dans le jardin du presbytère (voir C.71.006), où un curé lit son journal.
Par comparaison avec ces deux œuvres, il apparaît que Couture a recherché ici un équilibre entre la figure et le paysage. Il a mis en place ce dernier avant de peindre la lectrice. En effet, sous la jupe de celle-ci, laissée à l’état d’ébauche, on distingue sans peine le vert des feuilles, l’orangé des fleurs et le jaune de la tache de soleil sur le chemin. Le haut de la figure est plus solidement peint. Toutefois, quelques touches de rouge sont également visibles par transparence accrue sous le châle. Au niveau de la tête, la découpe régulière des feuillages évoque un repentir dans le contour de la chevelure et de la nuque. Le ciel est encore gris et nuageux, mais le soleil vient frapper la porte treillagée vers laquelle s’avance la jeune femme. Il fait aussi miroiter les feuilles d’un arbre fruitier sur lequel sont perchées deux colombes. Derrière la haute clôture chargée de végétation se distingue une maison dont on aperçoit la lucarne triangulaire sur la droite, à travers les frondaisons. Madame Couture porte encore un châle de laine épaisse, mais l’atmosphère de la toile évoque la promesse d’une belle éclaircie de printemps après la pluie et les plaisirs d’une vie simple et bourgeoise à la campagne.
La maison ici évoquée est très vraisemblablement celle de l’artiste à Senlis, sa ville natale. Comme l’a signalé Bénédicte Pradié-Ottinger, la présence des colombes fait écho à l’adresse du domicile de la famille Couture, rue des Colombes-Blanches. Le peintre semble toutefois avoir pris des libertés avec la topographie. Une étude dessinée conservée à Compiègne, visiblement exécutée d’après nature, nous montre la porte, la clôture et l’arbre (C.71.289) sous le même angle, mais d’un peu plus loin. Or, le bâtiment à l’arrière-plan n’évoque en rien celui du tableau. Couture a également dessiné une autre vue plus détaillée (Senlis, musée d’Art et d’Archéologie, INV. A.2000.6.1) qui permet d’assurer qu’il s’agissait d’une tonnelle. On aperçoit en revanche un toit qui pourrait être celui de la maison dans une troisième étude (château de Compiègne, C.71.336), où la clôture recouverte de verdure apparaît de nouveau. La porte n’est pas visible et il n’est pas absolument certain que cette vue ait été prise au même endroit. Si tel est le cas, la maison se trouvait peut-être en fait à gauche de la porte. Il existe par ailleurs dans les collections du château de Compiègne une étude de détail pour la lucarne et le toit (C.71.287) que Couture a également utilisée pour le tableau Dans le jardin du presbytère (voir C.71.006), et un croquis pour la mise en place de la figure (C.52.011/209).
Tout ceci permet de mieux comprendre l’intention de l’artiste : madame Couture rentre chez elle, dans sa nouvelle maison. Sans doute l’ouvrage qu’elle tient en main est-il un livre ou un journal pour dames, de même que le curé lit L’Univers en marchant dans le jardin de son presbytère. De fait, si ce tableau représente bien l’épouse du peintre pendant sa première grossesse, il fut peint à l’époque où le couple commença à délaisser Paris pour Senlis. À partir d’avril 1860, Couture y installa un atelier dans l’ancien palais épiscopal. Ce fut aussi à Senlis que leur premier enfant vint au monde. Cette toile que l’artiste exécuta pour lui-même lui fut sans doute inspirée par cette étape importante dans sa vie. Le rayon de soleil vers lequel s’avance la future mère peut être interprété comme une promesse de bonheur. Clare A. P. Willsdon a également mis cette composition en relation avec l’ouvrage consacré en 1859 à la femme par Jules Michelet, historien et penseur dont Couture avait fait le portrait et qu’il admirait. Michelet y exhortait les maris à quitter la ville et ses miasmes pour offrir aux jeunes mères de l’air pur et un jardin11. « Eh bien, toi qui as le bonheur d’élever et de nourrir ces deux arbres du paradis, la jeune femme, qui vit en toi, et son enfant, qui est toi, – songe bien que pour qu’elle vive, qu’elle fleurisse et alimente le cher petit de bon lait, il faut lui assurer d’abord l’aliment des aliments, l’air vital. […] Il faut faire un sacrifice, mon ami, et à tout prix, les mettre où ils puissent vivre. S’il se peut, sors de la ville. […] Je veux un jardin, non un parc : un petit jardin. L’homme ne croît pas aisément hors de ses harmonies végétales. Toutes les légendes d’Orient commencent la vie dans un jardin. » Jules Michelet, La Femme, Paris, Calmann-Lévy, 1879, 10e édition, p. 76-77..
Si l’on ignore ces résonances intimes, ce tableau peut également se lire comme une simple scène de genre. En représentant une figure anonyme et contemporaine en plein air, l’artiste s’attaquait pour son plaisir personnel à un thème plastique dont l’école des Batignolles devait faire un enjeu majeur de la modernité. Marie-Jeanne Grosset et Bénédicte Pradié-Ottinger ont d’ailleurs souligné la parenté de cette toile quant au traitement du feuillage avec deux tableaux peints par Claude Monet à la fin des années 1860, Femmes au jardin (Paris, musée d’Orsay) et Camille (Brême, Kunsthalle). Notons également l’importance accordée au vert acide de la porte treillagée qui fait songer au Balcon de Manet (1868-1869, Paris, musée d’Orsay).
Auteur du commentaire : Laure Chabanne
Étapes de publication :
2020-06-15, publication initiale de la notice rédigée par Laure Chabanne
Pour citer cet article :
Laure Chabanne, La Lecture, dans Catalogue des peintures du château de Compiègne, mis en ligne le 2020-06-15
https://www.compiegne-peintures.fr/notice/notice.php?id=393